Algerie, une seconde révolution? (2)

23 janvier 2011

EL WATAN
Week-end 7 jours le 21.01.11 | 03h00
SMS : Arme de communication massive

«Il est parti à 7h mais est arrivé à 19h.» De quoi s’agit-il ? Du train Alger-Oran ? Non, d’un SMS, qui est en théorie quasi instantané.
Mais depuis les émeutes, les SMS, Short Message Service, ont du mal à passer, particulièrement dans la région Centre. Et pour cause, les services, DRS et police, ont décidé que le mal venait de là et ils les «écoutent», ce qui ralentit le réseau, ou, le cas échéant, bloquent complètement l’envoi de SMS pour éviter la contagion protestataire. Si les opérateurs nient toujours et parlent de perturbations, comme par hasard sur Djezzy, Nedjma et Mobilis et au même moment, Ahmed Badaoui, syndicaliste, a été arrêté sur la base d’un SMS intercepté à propos de la Tunisie : «Un dictateur est tombé aujourd’hui, et Ghenouchi essaye de sauver le système. Espérons que le tour des autres suivra, souhaitons tout ce mal à notre pays en espérant que cette contagion atteigne les portes d’Alger.» Poursuivi pour «outrage à corps constitué, incitation à rassemblement non autorisé et activité d’association non agréée», il risque la prison, créant par là un précédent : incarcérer une personne sur la base d’un SMS ? Pour Me Mokrane Aït Larbi, l’article 39 de la Constitution est clair (lire El Watan du 19 janvier), «le secret de la correspondance et de la communication privées, sous toutes leurs formes, est garanti». La confidentialité n’est plus assurée, mais le SMS est-il une preuve juridique ? Oui, comme une lettre ou un e-mail, tout ce que vous tapez pourra être retenu contre vous. C’est tout le danger, une blague sur Bouteflika envoyée par SMS et interceptée peut conduire à «outrage au président» et à 3 ans de prison ferme.
Soyez brefs
En branchant ses tuyaux pour «écouter» les SMS, on peut en savoir beaucoup sur l’état de la société et en générer des contre-actions rapides. 50 milliards de SMS/MMS ont été envoyés dans le monde en 2010 et en moyenne 7 millions de SMS sont échangés chaque jour en Algérie, cinq à dix fois plus lors des fêtes ou quand les événements s’accélèrent. En pleines émeutes, les services avaient commencé à «écouter» les réseaux sociaux Internet, facebook et Twitter, bloquant le trafic, alors que paradoxalement, la bande passante venait d’être élargie de 10 Go à 46 Go. Mais c’était trop gros, comment faire passer un filtrage-espionnage d’Internet alors que, officiellement, on expliquait les émeutes par des voyous pas du tout intéressés par la culture ou l’Internet.
Surtout, comment bloquer facebook après que Barack Obama himself a durement averti Meqnine Ezzine Benali en pleine révolution tunisienne, «de ne pas toucher aux libertés de l’Internet» ? Une enquête a d’ailleurs été déclenchée par les Américains sur le blocage de facebook en Algérie. Restent les SMS. Espionnés, bloqués, avec la docilité des trois opérateurs qui concèdent la mainmise sur l’intimité des Algérien(ne)s, et dans l’illégalité, puisqu’il faut un mandat du procureur. Si on comprend qu’il faille couper le réseau pour assurer une opération contre les maquis de Sid Ali Bouneb, on a du mal à admettre qu’il faille lire les SMS pour contrer les tentatives d’union de la société. Pour le régime et ses services, il n’y a qu’un seul ennemi et c’est la communication, il fera tout pour la contrôler. C’est son unique message, le seul SMS trouvé dans sa boîte d’envoi. Il vient d’arriver à tout le monde.
Chawki Amari

le 22.01.11 | 03h00 A la une Entretien

Ahmed Benbitour : «La contagion démocratique va toucher l’Algérie»

L’ancien chef de gouvernement, Ahmed Benbitour, dresse un constat accablant suite aux dernières émeutes qui ont secoué notre pays en chargeant le système de gouvernance de l’équipe au pouvoir. Dans la foulée, il propose un nouveau processus politique avec, à la clé, une feuille de route s’étalant sur 15 mois et devant être sanctionnée par l’adoption d’une nouvelle Constitution et des élections présidentielles anticipées. Entretien.
-Avant tout, comment analysez-vous, Monsieur Benbitour, la situation politique actuelle ? Et quel a été, selon vous, le véritable ressort du soulèvement du 5 janvier 2011 ?
La situation politique se caractérise par un paradoxe détonnant. Des potentialités de développement énormes (une masse de cadres de niveau très appréciable pour un pays de taille intermédiaire, hydrocarbures, des richesses minières, agricoles, une démographie maîtrisée, une infrastructure qui couvre tout le territoire…) d’un côté, et des conditions de vie quotidienne difficiles, avec des perspectives inquiétantes, surtout pour la jeunesse, de l’autre. Les événements du 5 Janvier 2011 ont été menés par des jeunes d’une moyenne d’âge de vingt ans, c’est-à-dire des jeunes qui sont nés dans la décennie de sang et qui ont grandi dans celle de la corruption. Alors, face à l’impasse et au désespoir, il ne leur reste pour s’exprimer que la violence. J’avais déjà averti que la violence est en train de devenir le seul moyen de règlement de conflits parmi les individus et entre les individus et l’Etat.
-Vous avez lancé, dans la foulée des dernières émeutes, une initiative en forme d’appel «pour un rassemblement des forces du changement». Avez-vous eu des échos à votre initiative de la part d’organisations politiques ou syndicales, de personnalités nationales ?
Oui. Des responsables de petits partis m’ont appelé pour me dire : «Face à la fermeture de l’espace politique, vous êtes notre recours, faites quelque chose !» Il y a aussi des organisations de la société civile qui ont réagi, et bien sûr, beaucoup de personnalités, d’anciens ministres, d’anciens sénateurs, qui m’ont appelé ou qui sont passés me voir, sans compter tous ceux qui travaillent avec moi sur la Toile. Aujourd’hui, j’œuvre à rassembler un certain nombre de personnes pour un nouvel appel avec des actions plus ciblées.
-Est-ce une manière d’injecter du politique dans des émeutes présentées comme «dépolitisées» et souvent réduites par le régime à de simples «jacqueries juvéniles conduites par des voyous ?
L’expression «jacqueries juvéniles conduites par des voyous» est un indicateur de la profondeur du gap qui sépare le pouvoir de la jeunesse. C’est également l’expression maladroite d’un profond mépris. Notre responsabilité est de faire en sorte que ces dégâts ne se comptabilisent pas en «pertes et profits» et de travailler à réaliser les conditions du changement pacifique. Cela nécessite la réunion de trois facteurs : une pression forte, soutenue et en progression, de la part de la société civile sur le système de gouvernance ; une alliance stratégique entre les forces du changement, et un élément déclencheur. Avec ces événements, nous avions la pression, l’élément déclencheur, mais l’alliance entre les forces du changement a manqué. D’où mon insistance sur la construction de ces alliances.
-D’aucuns désespèrent de voir le changement advenir par des moyens pacifiques tant le régime s’entête à empêcher toute expression et toute manifestation non violente voulant s’inscrire dans la légalité. Comment envisager, de votre point de vue, une action politique pacifique et efficace dans un contexte dominé par l’état d’urgence, le verrouillage de la vie politique et la répression, comme le démontre l’arrestation du syndicaliste Ahmed Badaoui ?
Ici, vous avez deux discours : celui des pessimistes qui disent : «C’est le pouvoir en place qui a mis le pays dans une impasse, il n’a qu’à se débrouiller avec.» L’autre suggère que «si le pouvoir est la source des problèmes, il est le seul à détenir les instruments de leur règlement». Il s’agit bien sûr de deux discours à rejeter. Il est vrai que la solution la plus rapide et la moins coûteuse est celle d’un changement organisé dans le cadre d’une consultation entre les éléments sains du pouvoir et les forces qui comptent dans la société.
Vous avez appelé dans les colonnes d’El Khabar à la tenue d’élections présidentielles anticipées dans un délai de quinze mois. Peut-on en savoir davantage sur cette nouvelle proposition ?
Merci de m’offrir l’opportunité de clarifier ce point. En réalité, il s’agit d’un processus de changement qui doit commencer dans les meilleurs délais, et qui aboutira au bout de 15 mois à des élections présidentielles anticipées comme consécration d’un travail de sauvegarde de la nation. Voici le schéma de ce processus : il démarre par la sélection dans le cadre d’une collaboration entre les éléments sains du pouvoir et les forces émergentes du changement, d’une équipe compétente, en dehors du pouvoir, et représentative des différents courants de la société. Cette équipe aura pour mission d’élaborer une feuille de route pour la sauvegarde de la nation et la préparation du changement du système de gouvernance. Elle veillera également au lancement d’un vaste programme de communication pour expliquer la mission de l’équipe.
Cela s’accompagnera par l’ouverture des médias lourds (TV et radios) au débat contradictoire et la levée de l’état d’urgence. Elle s’attachera en outre à la sélection et à la préparation à la nomination des membres d’un gouvernement qui aura pour mission la mise en œuvre de la feuille de route arrêtée par l’équipe. Ce gouvernement s’appliquera à exécuter les missions rigoureusement consignées dans des feuilles de route établies pour chaque secteur. De même qu’il s’attellera à la mise en place d’un système de contrôle pour la réalisation des objectifs qui lui sont assignés par l’équipe. Ce travail sera couronné par une nouvelle Constitution et des élections présidentielles anticipées.
-Seriez-vous prêt à vous présenter à ces présidentielles anticipées si ce processus politique venait à être adopté ?
Je n’exclus pas la possibilité de m’y présenter au terme d’un tel processus. Mais ce n’est pas mon objectif. Car mon objectif est de travailler à l’émergence d’une nouvelle génération de dirigeants qui auraient autour de 40-50 ans parce que les problèmes à régler sont tels qu’il faut plus de deux mandats de cinq ans pour qu’on puisse voir l’installation de ce que j’ai appelé «la consolidation de la transition». Moi, j’ai déjà plus de cet âge-là. Maintenant, si la nécessité fait que les gens qui travaillent dans ce sens-là ne se contentent pas de m’avoir comme partenaire pour aider à faire avancer les choses et qu’ils veulent que j’assume la responsabilité, je ne fuirai pas mes responsabilités, mais pour une période bien déterminée. Si l’arrivée de cette jeune génération au pouvoir nécessite que moi-même je sois là pour l’assurer, je le ferais.
-La gestion des derniers événements par le pouvoir a été marquée, entre autres, par le silence «énigmatique» du président de la République. Quel commentaire vous inspire ce silence de M. Bouteflika même au plus fort des émeutes ?
Vous savez, j’avais déjà dit que l’Etat algérien est dans une situation de défaillance et qu’il dérive vers la déliquescence. Et c’est là un signe fort de la déliquescence de l’Etat. On ne peut pas imaginer n’importe quel Etat ou n’importe quel pouvoir dans n’importe quel pays, subir des émeutes aussi importantes, des morts, des blessés, des dégâts aussi graves de biens publics et privés, et que les autorités compétentes ne réagissent même pas. L’Etat se doit de marquer sa présence en pareilles circonstances au niveau le plus élevé de la hiérarchie. Or, ce n’est pas le cas du tout. Donc, c’est vraiment à la déliquescence de l’Etat que nous assistons.
-M. Bouteflika devrait-il avoir la «dignité» de se retirer du pouvoir, selon vous ?
Je crois que ce n’est pas une question de dignité. Il y va d’abord de la sauvegarde de sa personne. Gouverner, c’est faire fonctionner des institutions et non pas venir faire des discours de palais. On a cassé même les institutions de soutien au pouvoir. Quel poids ont, aujourd’hui, l’Alliance présidentielle, le Parlement, le Conseil constitutionnel ou le gouvernement ? Rien ! Un gouvernement qui ne se réunit pas, une présidence qui ne préside pas un Conseil des ministres pendant des mois et des mois, alors que la règle, c’est de se réunir une fois par semaine… Un gouvernement qui se respecte ne prend pas de décision en dehors du Conseil des ministres. Donc, il est dans l’intérêt des dirigeants d’aujourd’hui de s’aménager une sortie honorable parce que s’ils ne le font pas, ils vont subir les événements. A n’importe quel moment, les émeutes peuvent reprendre et d’une façon de plus en plus importante. Qui aurait pu penser un instant que le régime de Ben Ali pouvait s’effondrer de cette manière ?
-Justement, de plus en plus de jeunes s’immolent par le feu. Parmi ces immolés, pourrait-il y avoir un «Bouazizi» ?
Certainement. C’est d’autant plus inquiétant que cela se passe dans une société musulmane qui considère le suicide comme le péché suprême. Mais c’est une nouvelle expression d’un phénomène existant depuis longtemps : le suicide collectif dans des embarcations de fortune avec les harraga. Mais comme cela se passait en haute mer, les gens ne prenaient pas la mesure de la gravité de ce phénomène. Là, c’est une image physique qui choque et qui peut donc entraîner une réaction violente. Cela démontre la profondeur du malaise et du désespoir des citoyens ainsi que la perte totale de confiance vis-à-vis des dirigeants.
-De la même manière, nous aimerions avoir votre sentiment concernant l’opposition. Plusieurs analystes politiques se montrent sévères envers les élites politiques en leur reprochant de ne pas adopter une ligne suffisamment tranchée, suffisamment «radicale», pour provoquer le changement…
En effet. D’ailleurs, j’ai été étonné par la réaction de certains partis qui ont condamné la violence en oubliant que nous n’avons donné aucun autre moyen d’expression à ces jeunes que la violence. L’opposition aurait dû exprimer sa solidarité massivement avec cette jeunesse et comprendre son désarroi. Nous sommes désormais confrontés à un problème très sérieux : il y a d’un côté le pouvoir, et de l’autre la violence, et il n’y a pas d’intermédiaire valable entre les deux. Et c’est le moment justement de se mettre ensemble pour devenir un élément d’intermédiation entre la violence du pouvoir et la violence de la jeunesse.
-Le RCD a appelé à une grande marche populaire pour ce samedi 22 janvier. Quelle appréciation faites-vous de cette initiative ? Nous savons que vous avez apporté votre soutien de principe au RCD…
Absolument ! Je serai en dehors d’Alger samedi, autrement, j’aurais participé à cette initiative Au demeurant, j’ai effectivement exprimé publiquement mon soutien à cette marche. Toute action qui va dans le sens de l’appel au changement est la bienvenue. Aujourd’hui, nous n’avons pas le luxe de sélectionner entre une action qui serait optimale et une autre qui le serait moins. Et le devoir de tout un chacun qui appelle au changement est de la soutenir indépendamment de l’orientation idéologique ou des supputations sur les forces qu’il y aurait derrière. Moi, je retiens uniquement cette idée claire, nette et précise : il y a un parti politique autorisé qui dit moi j’organise une marche pour soutenir l’idée du changement, par conséquent, je lui apporte mon soutien.
-N’avez-vous pas l’intention de capitaliser cette dynamique en faveur du changement par la création d’un parti politique ?
Au jour d’aujourd’hui, je ne crois pas qu’il soit utile de perdre son temps à vouloir créer un parti politique. Il faut une innovation en matière d’organisation du travail politique, une innovation en matière d’instruments du changement et un pari sur les nouvelles forces. Il faut investir dans les NTIC puisque, pour le moment, nous n’avons pas d’autres moyens. Beaucoup de gens disent oui, mais ceux qui ont accès aux NTIC sont peu nombreux. Toujours est-il que les gens qui ont accès aux NTIC sont un intermédiaire entre l’idée que nous lançons et la masse qui va la recevoir. Il n’est pas nécessaire que toute la masse accède à Internet pour pouvoir faire passer des messages.
-Comment avez-vous vécu personnellement la chute de Ben Ali en Tunisie ? Pensez-vous que la «contagion démocratique» puisse se produire sous nos latitudes ?
Je dois avouer que je ne m’y attendais pas en ce moment. Je profite de cette occasion pour exprimer ma solidarité avec le peuple tunisien. Mais je ne peux pas aujourd’hui parler de «contagion démocratique» mais de «contagion de révolte». Est-ce la voie vers la démocratie ou la voie vers la récupération de la révolte ? Les mesures prises jusqu’à ce jour dans ce pays frère vont plus vers la récupération. Nous espérons que la sagesse prendra le dessus et que la révolte des Tunisiens puisse converger vers une révolution. C’est-à-dire la mise en place d’un système démocratique conduit par les Tunisiens et au bénéfice des Tunisiens. J’estime en tout cas que cette contagion va toucher l’Algérie, parce que les conditions de la révolte sont réunies chez nous. Et notre travail consiste précisément à rassembler les forces du changement pour créer les capacités de négociation et de proposition afin de contenir la révolte et la faire converger vers la révolution, c’est-à-dire l’instauration de la démocratie.
Mustapha Benfodil

le 22.01.11 | 14h48
Algérie : le Pouvoir réprime la marche pacifique du RCD

Un trafic ferroviaire suspendu, des bus retenus dans les barrages policiers, des passants contrôlés, des rues coupées à la circulation routière, Alger a vécu, durant toute la journée du samedi, en état de siège.
C’est, en tout cas, l’image qui restera à jamais gravée dans les esprits des Algériens qui ont tenté de rallier la capitale ce samedi 22 janvier. Ce jour-là, ils n’oublieront pas que leur Etat a pris tout simplement le contrôle du « ciel » et de la « terre » pour empêcher tout citoyen Algérien de battre le pavé et de réclamer le changement dans son pays.
En effet, des dizaines de barrages fixes de la Police ont quadrillé, dès les premières lueurs du matin de samedi, Alger et ses environs pour filtrer les véhicules et leurs passagers. Les automobilistes ont subi les uns après les autres des fouilles minutieuses et les plus jeunes d’entre eux ont été interrogés pendant de longues minutes.
« Où est-ce que vous partez ? », « Qu’allez vous faire à Alger ? », lancent des agents de l’ordre aux jeunes qui s’apprêtaient à prendre le bus pour aller à Alger-centre.
Ainsi, dès 9 H du matin, les forces de l’ordre ont étouffé la capitale avec un dispositif sécuritaire soigneusement étudié pour empêcher tout mouvement de foule sur les rues et les artères d’Alger. Des transporteurs privés nous ont même confié que des « civils » sont venus aux gares routières de Blida et de Boufarik pour leur expliquer qu’il n’était pas de leur intérêt de rôder encore l’après midi à la gare routière de Tafourah et de Kharrouba !
Au niveau des gares ferroviaires, les portes et les guichets ont été fermés. Et les quelques agents présents sur les lieux ont reconnu que des directives précises leur ont été transmises. « Aujourd’hui, pas de train pour que personne ne puisse aller à la marche ! », confie tout de go un fonctionnaire à la gare de Birtouta.
Sur les routes, au niveau de chaque barrage policier, des bouchons monstres ont bloqué des centaines de véhicules et de bus. Les manifestants en provenance de Boumerdès ou de Tizi-Ouzou ont été donc retenus durant des heures au milieu des embouteillages.
Dans les airs, un hélicoptère survolait en permanence Alger et ses environs pour passer au crible tout mouvement « suspect ». Pris de panique, et apeurés par cette atmosphère policière inhabituelle, de nombreux Algérois n’ont même pas pu sortir de chez eux.
Le message du Pouvoir a été donc bien reçu : aucune manifestation ne sera tolérée par les autorités. Les militants et les sympathisants du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD) qui avait appelé à une marche citoyenne pacifique au centre d’Alger pour ce samedi bénéficieront, pour leur part, d’un traitement particulier.
Tôt le matin, pas moins de 35 camions de police ont « squatté » l’avenue Didouche Mourad, qui abrite le siège du RCD, en coupant toute circulation routière. Pas moins de 300 policiers équipés de boucliers et de bâtons ont bouclé l’entrée du siège du parti de Saïd Sadi. Impossible donc de sortir dans la rue sans entrer en affrontement avec ces légionnaires impassibles à qui on a intimé l’ordre de réprimer toute tentative d’occuper la rue.
Une centaine d’étudiants, de militants, de journalistes et des syndicalistes sont, dès lors, retenus en «otages» par des policiers. Ces derniers n’ont pas hésité à proférer des menaces et à brandir leurs boucliers pour signifier aux manifestants qu’ils subiront tous un passage à tabac s’ils entêtent à vouloir marcher à Alger.
Mais les « otages » n’ont pas cédé pour autant à la résignation et à la peur. Des chaises, des pierres et des bouteilles ont été balancées sur les policiers du haut de l’immeuble qui a servi de forteresse aux militants du RCD. Quelques uns ont même bravé les forces de l’ordre en tentant de sortir avec leurs banderoles dans la rue. Mais l’accueil musclé de la brigade anti-émeutes a vite tourné en affrontement général.
Une dizaine de personnes a été arrêtée et d’autres ont subi des coups et des blessures. Au moins deux manifestants ont été grièvement blessés dont un sera transféré, sur une civière, à un hôpital Algérois. A ce moment-là des cris de colère fusent de partout : « Pouvoir assassin », « Jazaïr Hourra, Jazaïr Democratiya ».
Des drapeaux tunisiens sont aussi brandis et des chants patriotiques entonnés à haute voix. « Vous êtes des Algériens comme nous. Pourquoi vous nous maltraitez ! », « Jusqu’à quand allez-vous défendre ce régime pourri ? », lâchent des jeunes manifestants en colère contre cette répression menée tambour battant par des autorités qui ne reculent devant rien pour brimer la société civile.
De son côté, Saïd Sadi prend un haut-parleur et clame sa colère : « je suis prisonnier dans le siège du parti, je ne peux pas partir d’ici. On ne peut pas mener de lutte pacifique quand ont est assiégé ». De longues minutes défilent sans que rien ne change. Les centaines de policiers ne lâcheront pas prise et le siège du RCD demeurera en quarantaine jusqu’à l’après-midi.
Plus loin, à la Place du 1er Mai, là où devait commencer cette marche pacifique, des dizaines de policiers et de camions anti-émeutes ont pris possession des lieux. Tout attroupement a été interdit. Femmes, hommes, jeunes, personnes âgées, aucun citoyen n’a pu rester debout sans risquer une réprimande de la part des policiers.
Abderrahmane Semmar

le 23.01.11 | 03h00

Marche du RCD à Alger : état de siège et répression

Cela ne s’était pas vu depuis la marche des archs du 14 juin 2001 : Alger arborait hier le visage d’une ville sous «état de siège». Un état de siège cependant en bleu, comme l’uniforme de la police, tant était impressionnant le dispositif de sécurité déployé pour contrer la marche du RCD.
Une image forte résume à elle seule, si besoin est, cette atmosphère particulièrement oppressante : le bureau de wilaya du RCD, rue Didouche Mourad, encerclé par une armada de forces antiémeute. Le docteur Saïd Sadi, les cadres et députés du parti ainsi qu’une foule de militants, de sympathisants et de journalistes étaient assiégés des heures durant dans les locaux du RCD et aux abords du siège algérois du parti par un important cordon de policiers antiémeute affichant casque, bouclier et matraque. Tout Alger, ses principales artères, ses bâtiments officiels, ses accès, ses venelles étaient sévèrement contrôlés par des dizaines de camions de police.
Ainsi, à proximité du Palais du gouvernement, de la présidence de la République, de l’Assemblée populaire nationale (APN), de la Cour d’Alger et de nombreuses institutions, différents engins des services de sécurité ainsi que des camions de la Protection civile et des ambulances ont pris place dès les premières heures de la journée, tandis qu’un hélicoptère ne cessait de bourdonner dans le ciel. Un véritable climat de guerre régnait sur la capitale. Outre cet attirail, on pouvait remarquer un cordon de 4×4 Toyota de couleur noire, une vingtaine environ, déployé le long de la rue Didouche Mourad. Il s’agit d’éléments de la Brigade de recherche et d’intervention (BRI), une unité d’élite de la police spécialisée dans la lutte contre le… crime organisé.
Face à cette folle agitation policière, cette pancarte solitaire posée contre un mur : «El harga ouala houma. Vive la jeunesse algérienne !» (le feu plutôt que ces gens-là !). La pancarte était illustrée d’un dessin campant une flamme rongeant le corps d’un homme. Une allusion claire à la vague d’immolations qui embrase notre jeunesse.

La rue Didouche Mourad était, on l’aura compris, le théâtre par excellence du bras de fer RCD-forces de l’ordre. Même décor sur la place du 1er Mai d’où devait s’ébranler la «Marche pour la dignité». La porte de l’hôpital Mustapha donnant sur le quartier Meissonnier était fermée au public. Un dispositif tout aussi important encercle les abords de l’Assemblée nationale, point de chute originel de la marche. La rue Asselah Hocine est carrément fermée à la circulation automobile. Même dispositif hermétique devant le port d’Alger. La gare routière de Tafourah est «tenue en respect» par des véhicules de police. La route Moutonnière connaît des bouchons inhabituels : les voitures entrant vers Alger sont passées au crible par des barrages de police. La gare routière du Caroubier connaît, elle aussi, un quadrillage sans précédent, une forte escouade de policiers déambulant ostensiblement dans le hall de la station de voyageurs. Des fourgons de police ont pris place aux arrivées de bus.
Les cars en provenance de Tizi Ouzou et de Béjaïa semblent être leur hantise. D’ailleurs, aucun bus n’est rentré à la gare durant la demi-heure que nous avons passée sur les lieux. Selon le site TSA, des étudiants en provenance de Tizi Ouzou à bord de trois autobus ont été interceptés dans la nuit de samedi à dimanche à un barrage de police, à Bab Ezzouar. Si en temps normal, le trajet Tizi Ouzou-Alger est un véritable parcours du combattant en raison, notamment, du barrage «infernal» de Reghaïa, le contexte particulièrement tendu suscité par cette marche avortée a rendu autrement plus éprouvants les déplacements des personnes en provenance de Kabylie. Les cités universitaires et les stations ferroviaires étaient, signale-t-on, également sous forte surveillance policière ces dernières quarante-huit heures.
Le déploiement exceptionnel des hommes du général Hamel, hier, n’a pas manqué de faire sourire : «Ce n’est plus la marche du RCD, décidément, c’est la marche de la police !», ironisait-on.
Mustapha Benfodil

A la une Actualité

le 24.01.11 | 03h00 Retour à la normale après le «siège» de la capitale
La marche réprimée du RCD vue par les Algérois
Retour à la normale, hier, dans les rues de la capitale, après la houleuse journée de samedi, où Alger la Blanche était devenue «Alger la Bleue», suite au déploiement policier sans précédent qu’elle a connu.
Les boutiques étaient ouvertes aux chalands, le trafic a renoué avec ses bouchons infernaux et les imposants camions de police ont été retirés de la plupart des sites où ils étaient postés avant-hier.
Virée au bureau régional du RCD, rue Didouche Mourad, qui avait été hermétiquement assiégé ce 22 janvier. Le drapeau tunisien est toujours accroché au balcon aux côtés de l’emblème algérien en signe de solidarité avec la «Révolution du jasmin».
Les militants du parti revenaient à peine de leurs émotions après la rude bataille qui les a opposés aux services de sécurité tout au long de la journée de samedi. «Nous avons dénombré tout de même une quarantaine de blessés et plusieurs interpellations. Mais tous nos militants sont rentrés chez eux. Nos députés ont veillé personnellement à aller dans les commissariats pour assister les personnes appréhendées et s’assurer de leur libération», nous dit Abderrahmane Oukali, président du bureau d’Alger du RCD.
Pour lui, le moral des troupes est loin d’être atteint, bien au contraire. «Comme l’a dit le Dr Saïd Sadi, ceci n’est que le commencement. Non seulement nous avons un très bon moral, mais nous nous projetons déjà dans les actions futures.» «Nous, nous avons délivré un message rassembleur. D’ailleurs, nous n’avons pas mis en avant des slogans partisans», analyse après coup Abderrahmane Oukali, avant de reprendre : «Les gens doivent maintenant sortir de leurs carcans partisans. Nous avons tous un même mot d’ordre qui est la démocratie.» Côté vox populi, l’initiative du RCD a été diversement appréciée.
Discussion avec un groupe de jeunes lycéens, ayant entre 16 et 18 ans. «Ce parti fait ça pour qu’on parle de lui ou pour qu’on vote pour lui», lâche l’un d’eux. «Mais je pense qu’ils auraient dû le laisser faire sa marche, et c’est au peuple de décider s’il marche avec lui ou pas.» Son acolyte enchaîne : «Ce que fait la police, c’est grave. Les policers n’arrêtent pas de provoquer le peuple. Il n’y a qu’à voir les retraits de permis, les barrages. Wechnou hada ? Si ça continue comme ça, ça va être la Tunisie !» Un autre renchérit : «Y’en a marre mel hogra. Trop d’injustice ! Vous savez, moi j’ai participé aux émeutes à Bab El Oued, j’ai lapidé les flics et tout. Et ce n’est pas vrai qu’on a fait ça pour l’huile et le sucre, on a fait ça à cause de la hogra ! Il n’y a pas d’avenir dans ce pays. Nous, on est lycéens et on voit déjà win rahi rayha. Si tu n’as pas d’argent, wahed ma yekhzer fik.» Et un de ses camarades de lancer : «C’est bête, ces jeunes qui se brûlent comme ça. Waâlach ! Pourquoi tu fais ça à ta pauvre maman au lieu d’aller brûler la présidence ou le gouvernement ?! Eddoula hadi haggara. C’est à eux de cramer, pas à nous !»

Une jeune informaticienne, 26 ans, s’est rendue pour sa part à la place du 1er Mai pour participer à la marche, confie-t-elle. «Je ne suis pas du RCD, j’aurais fait ça même si c’était un autre parti qui avait pris cette initiative. Et j’ai été vraiment étonnée de voir autant de policiers», témoigne-t-elle. «Je trouve cette réaction franchement exagérée. Mais je pense que l’interdiction va donner plus d’énergie et de volonté aux gens pour marcher, même si je considère que c’est une défaite pour le RCD. Je pense qu’il y a urgence à ce que les forces de l’opposition fassent front autour d’une idée, pas autour d’un homme ou d’un parti, et qu’ils agissent ensemble.» Un autre citoyen, dans les 55 ans, cadre dans une institution publique, martèle : «Mais pour qui nous prennent-ils ? On dirait une force d’occupation ! Qu’ils laissent les gens s’exprimer ! En tout cas, le RCD a marqué des points. Chapeau !»
Enfin, pour ce boulanger installé à Meissonnier, l’action du RCD est «à saluer, même si ce n’est pas très sage vu la situation». «Même si eux sont sincères, il y aurait eu certainement des voyous qui auraient profité de la marche pour casser. Cela dit, je pense que la police doit mieux se comporter avec le peuple. Il n’y a qu’à voir le barrage de Reghaïa. Et puis, qu’ils laissent les jeunes sans emploi vendre tranquillement dans la rue. Ce jeune n’a pas d’autre source de subsistance, et si tu le chasses, il est capable du pire.»
Mustapha Benfodil

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