Lu pour vous dans EL WATAN
le 04.02.11
Emeutes et immolations : The day after !
Que reste-t-il de la série d’émeutes et d’immolations du mois écoulé? Le suicide se banalise, les «émeutiers» passent devant la justice et les autorités promettent, encore, plus de «dialogue». El Watan Week-end a fait le point.
Une trentaine d’immolations par le feu depuis la mi-janvier et toujours aucune réaction officielle face à cette forme de contestation extrême. Mal-vie, sentiments d’injustice, chômage, problèmes de logement, autant de raisons qui ont poussé ces citoyens des quatre coins du pays à tenter de se suicider pour dénoncer les autorités. Le cas le plus impressionnant aura été celui des vingt harraga qui ont préféré brûler leur embarcation plutôt que d’être interceptés par les gardes-côtes de Annaba. Trois morts jusque-là, et beaucoup de blessés. Mais si au début, ces signaux de détresse extrême n’étaient jusque-là lancés que par des chômeurs, la tendance s’est inversé à la fin du mois de janvier avec deux cas d’employés qui n’ont pas hésité à dénoncer leur situation précaire au travail : un agent de sécurité de l’Algérienne des eaux à Tizi Ouzou et un agent de sécurité temporaire de la Banque de développement local (BDL) à Staoueli.
Signe encore plus fort, ce dernier avait tenté de s’immoler avec sa fille handicapée ! Une enquête aurait été commandée par le président de la République pour faire le point sur ces immolations, mais les jours et les semaines passent sans que les questions que posent ces personnes désespérées aient d’échos chez les autorités. Senouci Touati, 34 ans, chômeur de Mostaganem qui avait tenté de s’immoler par le feu le 15 janvier dernier a eu le temps de se remettre de ses blessures et a entrepris d’écrire une lettre au président Bouteflika pour le sensibiliser sur sa situation et surtout menacer de retenter cette immolation si les autorités ne lui viennent pas en aide. «Je suis déterminé à faire entendre ma voix quitte à mourir, à quoi bon vivre dans cette misère et en supportant la hogra», a-t-il précisé hier.
Fatema Abou, la femme qui s’était aspergée d’essence près du siège de l’APC de Sidi Ali Benyoub (Sidi Bel Abbès) n’en attend pas moins. «On m’a contactée de la daïra pour que je dépose un dossier de logement quelques jours après ma tentative de suicide publique et une délégation de la wilaya est venue visiter les deux pièces dans lesquelles je vis avec les dix membres de ma famille, mais, depuis, plus rien.» Le désespoir reprend son cours pour Fatema, comme pour les autres suicidaires pendant que le phénomène tend cruellement à se banaliser.
Fella Bouredji
Lu pour vous dans EL WATAN
Jeudi 3 février 2011
L’armée algérienne et le défi démocratique.
La question qui se pose aujourd’hui avec acuité, c’est de savoir de quel côté se rangera l’armée si la population algérienne décide, à l’instar des Tunisiens et des Egyptiens, de sortir massivement dans la rue.
En décidant d’interdire la marche populaire que prévoit d’organiser la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD), le 12 février à Alger, d’écarter tout projet d’une levée, à moyen terme, de l’état d’urgence et de renvoyer aux calendes grecques l’ouverture des champs politique et médiatique, le gouvernement semble prêt à engager une épreuve de force avec la société. Ce bras de fer qui est de ce fait inéluctable peut vraisemblablement déboucher sur un scénario à la tunisienne ou à l’égyptienne tant la population paraît prête aussi à en découdre et nourrit un profond rejet du système et des hommes qui l’incarnent, à l’image du chef de l’Etat, du Premier ministre, de nombreux ministres ou encore de certains hauts et vieux gradés des services de sécurité. La question qui se pose avec acuité et qui commence d’ailleurs aujourd’hui à revenir sur toutes les lèvres, c’est de savoir de quel côté se rangera l’armée et ses services secrets si la population algérienne décide, à l’instar des Tunisiens et des Egyptiens, de sortir massivement dans la rue pour siffler la fin de la partie et demander le départ, manu militari, du régime et de ses sous-traitants. La question mérite d’être posée surtout si le pouvoir politique incarné par Abdelaziz Bouteflika, Ahmed Ouyahia ou Noureddine Yazid Zerhouni, lui demande de réprimer sans ménagement les manifestants. Cela, quitte à provoquer un horrible bain de sang. Les officiers de l’ANP accepteront-ils, à ce moment là, de prendre sur eux la responsabilité de tirer à balles réelles sur la jeunesse, de tuer l’espoir de toute une société et d’avoir les mains tachées de sang comme l’ont eu d’ailleurs à le faire leurs prédécesseurs en 1988 lorsque le président Chadli Bendjedid, profitant du mécontentement populaire, n’a pas hésité à régler ses comptes avec certains hommes forts du sérail par population interposée ? Pour mémoire, cette explication entre clans et dont les principaux acteurs restent à ce jour impunis fera 500 morts et presque autant de blessés. Avec en prime, une généralisation de la pratique de la torture. Les militaires reproduiront-ils aussi les mêmes erreurs que celles commises par les gendarmes en Kabylie en 2001 qui ont tué 126 jeunes manifestants, dont le seul tort a été d’avoir demandé que l’on rende justice à la famille de Guermah Massinissa, un brillant lycéen assassiné à bout portant dans une brigade de gendarmerie dans la wilaya de Tizi Ouzou et que Noureddine Yazid Zerhouni, alors ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales, n’avait pas hésité à qualifier de voyou ? Avec du recul, aujourd’hui tout le monde admet que la gestion catastrophique de la crise de Kabylie par le pouvoir et ses relais a porté un coup sévère à la cohésion nationale. Car en plus des morts, la répression systématique ordonnée par le pouvoir a eu pour effet de plonger toute la région dans une grave crise politico-sécuritaire dont l’issue paraît encore très incertaine. En dehors du chef d’état-major de l’ANP, du ministre délégué à la Défense et du patron du DRS qui continueront sans doute à constituer un bloc compact autour du chef de l’Etat, il est évident que l’éventualité de se voir retrouvé face à face avec la population mettra le gros des cadres de l’armée devant un choix cornélien. Mais quoi qu’il en soit, leur position constituera, à ne pas en douter, un facteur déterminant pour la suite des événements. Mieux, elle sera probablement de nature à faire pencher la balance d’un côté comme de l’autre. Tout en sachant toutefois, ainsi que le montre l’exemple tunisien, que le changement est de toute façon inéluctable. Réduits au silence depuis la venue de Abdelaziz Bouteflika au pouvoir, les militaires ont donné l’impression, jusqu’à il y a un passé récent, de s’être contentés de suivre les événements en qualité de simples observateurs. Eu égard justement aux expériences passées (coup d’Etat du 19 juin 1965 et arrêt du processus électoral en janvier 1992), il y a lieu de s’attendre à ce que tous les jeunes officiers supérieurs formés dans les grandes écoles de guerre russes, françaises ou nord-américaines réfléchissent à deux fois avant de prendre le risque de faire intrusion à nouveau dans le champ politique. Cela quand bien même pour donner un coup de pouce à la démocratie. Néanmoins, les enquêtes fouillées menées par les «services» sur les scandales de corruption, qui ont éclaboussé les hommes du Président et le gros de la nomenklatura, laissent penser que les «jeunes loups» de l’ANP ne paraissent pas du tout disposés à accepter de porter sur leur dos un régime autoritaire sclérosé et complètement discrédité… et encore moins de payer les pots cassés à sa place.
Zine Cherfaoui
ET AILLEURS
Bensaad Ali.
Maître de conférences à l’université de Provence
Enseignant-chercheur à l’IREMAM-CNRS Institut de recherches et d’études sur
le monde arabe et musulman
Chercheur en délégation CJB-CNRS (Centre Jacques Berque de recherches en
sciences humaines et sociales)
Lettre publique à Bouteflika
Monsieur le Président,
Je vous écris publiquement pour solliciter votre départ immédiat et
organisé, meilleure issue pour l’Algérie et pour votre personne. Votre
obsession de vouloir entrer dans l’histoire n’est un secret pour personne.
Malheureusement, vous n’avez rien fait d’autre jusque-là que de mériter d’être expulsé.
Une chance se présente à vous pourtant aujourd’hui.
Saisissez-la, c’est la dernière. De toute façon, si vous ne la chevauchez
pas, elle vous piétinera et fera de vous un rebut de l’histoire. Vous avez
tellement voulu vous faire un nom que pour répondre à la misère qui gagne la
population, vous n’avez rien trouvé de mieux que de faire construire la
mosquée la plus grande et la plus chère du continent, juste pour pouvoir y
accoler votre nom. Il y a mieux.
Partez de vous-même. Je sais que comme tous les dictateurs de la région,
vous ne pouvez que vous refuser à cette idée jusqu’à votre dernier souffle.
Mais ayez la lucidité de constater que vous ne pouvez faire autrement. Votre
sort est scellé. Il est fatalement le même que ceux de Ben Ali et Moubarak.
Ayez le courage de le devancer. Ben Ali a fait 23 ans de pouvoir, Moubarak
30 ans, mais vous, il y a bientôt 50 ans que vous cumulez les postes
sensibles au sommet de l’Etat, violant la Constitution pour rester président
depuis 12 ans.
Vous avez gouverné autant qu’Obama a vécu depuis sa naissance. Cela ne vous
suffit-il pas ? Comme eux, vous avez instauré une oligarchie familiale,
développé la corruption à un niveau inégalé, enrichi vos proches et voulu
faire de votre frère votre successeur héréditaire. Vous avez étouffé toute
expression libre, appauvri et réprimé la population, utilisé le terrorisme
pour instaurer une chape de plomb, poussé les jeunes à préférer mourir noyés
en mer ou plutôt vivre en Israël pendant que vous discourez sur la
Palestine.
Vous nous avez fait honte jusque-là par votre mégalomanie aussi grande que
vos actions étaient de petites et ridicules gesticulations, y compris
vis-à -vis de l’ancienne puissance coloniale pour laquelle vous avez la
fascination de celui qui n’est pas reconnu.
N’y ajoutez pas une fuite humiliante. Je sais que vous nous avez méprisés en
menaçant régulièrement de vous en aller. Faites semblant de croire que vous
mettez votre menaceà exécution, mais ne nous infligez pas l’humiliation
supplémentaire d’une fuite honteuse.
PS : Au risque d’égratigner votre ego surdimensionné, vous ne pesez pas si
lourd: c’est dans des fourgons militaires que vous avez été ramené et
fabriqué président; le système qui vous a fait vous prépare déjà votre (vos)
remplaçant(s). C’est aux « faiseurs de roi de l’ombre» que s’adresse ce
post-scriptum : vous ne nous la jouerez pas encore une fois, c’est tout le
système qui doit partir.
C’est lui qui est nuisible. Bouteflika était un enfant à qui on a donné le
sort de l’Algérie comme jouet.
BENSAAD ALI