Algérie, une seconde révolution? (35)

19 septembre 2011

Lu pour vous dans EL WATAN

le 19.09.11

Colloque international El Watan-IME, Université Paris 8, Alger, 23-25 septembre 2011

Le printemps arabe : Entre révolution et contre-révolution ?

Le journal El Watan et l’Institut Maghreb Europe de l’Université Paris 8 organisent un colloque international à Alger sur les bouleversements que connaît le sud de la Méditerranée depuis le début de l’année.

Depuis l’immolation par le feu de Mohamed Bouazizi le 17 décembre 2010, une nouvelle page de l’histoire est en train de s’écrire dans le monde arabe. Les soulèvements populaires, qui soufflent depuis la geste héroïque du jeune diplômé-chômeur tunisien sur le Maghreb et le Machrek, infligent, par-delà la surprise des uns et la consternation des autres, un démenti cinglant aux thèses célébrées du «choc des civilisations» et de l’«exceptionnalisme arabe» ; ressassées ad nauseam depuis 9/11, celles-ci décrivant la «rue arabe» comme enfermée dans la dialectique du «jihad» et de la «fitna», culturellement réfractaire à la démocratie au moins autant qu’à la liberté…

Les mobilisations pacifiques des peuples, en parvenant, en dépit de la répression sanglante des régimes et du soutien des grandes puissances dont jouissent ces derniers, à provoquer la chute de Ben Ali et de Moubarak, deux autocrates parmi les mieux établis s’il en est de la région, invitent à interroger à nouveaux frais les grilles de lecture réservées à «l’Orient compliqué».
L’euphorie de la liberté ne doit cependant pas voiler la complexité du tableau : aux menées de la contre-révolution qui se trament d’ores et déjà, s’ajoutent, du Bahreïn à la Syrie en passant par le Yémen, la barbarie de la répression et la crainte, ravivée par le syndrome libyen, de l’enlisement dans la guerre civile. Les bouleversements déroutants que connaît le sud de la Méditerranée depuis le début de l’année, en donnant congé aux thèses consacrées, appellent un renouvellement des paradigmes.

Le journal El Watan et l’Institut Maghreb Europe de l’Université Paris 8 entendent, en organisant un colloque international à Alger, s’atteler précisément à cette tâche. En réunissant trois jours durant une brochette d’intellectuels et de chercheurs de haut rang, l’atelier de réflexion ambitionne d’apporter – au plus loin autant des clichés médiatiques que des scénarios des officines – des analyses informées par la connaissance historique et la pratique du terrain, seules en mesure d’offrir des clés d’intellection des bouleversements survenus dans cette région névralgique de l’ordre mondial.

Le colloque, initiative de la société civile qui ambitionne d’élaborer un bilan provisoire des connaissances sur le «printemps arabe», entend se déployer sur six panels. A raison de deux par jour, ces derniers se déclinent comme suit :
Panel 1 : De quoi l’événement historique est-il le nom ?
Panel 2 : Révolte, révolution, réfo-lution ?
Panel 3 : Le «printemps arabe» : entre révolution et contre-révolution ?
Panel 4 : Vers des transitions démocratiques ou des autocraties sans autocrates ?
Panel 5 : La rente pourra-t-elle acheter la dissidence ?
Panel 6 : Les révolutions arabes : une aubaine ou une menace pour l’Empire ?

Près de trente participants – venus de Tunisie, d’Egypte, du Maroc, de Palestine, d’Algérie, des Etats-Unis et de France – prendront part à ce rendez-vous de la rentrée. Plusieurs intellectuels de gauche, connus pour leur engagement anti-impérialiste, participeront à cette initiative de la société civile dont : Gilbert Achcar, figure de proue de la gauche intellectuelle arabe, professeur de relations internationales à la prestigieuse School of Oriental and African Studies (SOAS, University of London), auteur du monumental Les Arabes et la Shoah (2008) et coauteur avec Noam Chomski de Perilous Power. The Middle East and US Foreign Policy (2009) ; Sophie Bessis, historienne, directrice de recherche à l’IRIS et auteure de L’Occident et les autres. Histoire d’une suprématie (2003) et de Les Arabes, les femmes et la liberté (Albin Michel, 2007) ; Mohammed Harbi, historien, professeur émérite à l’Université Paris 8, auteur de l’indépassable FLN : mirage et réalités (1980), L’Algérie et son destin (1992) et de Une vie debout (2002) ; Ghazi Hidouci, économiste et tête pensante des réformes économiques des années 1989/1991, auteur de l’incontournable Algérie. La Libération inachevée (1995) ; René Gallissot, historien, professeur émérite à l’Université Paris 8, auteur d’une œuvre prolifique sur le Maghreb dont Ben Barka. De l’indépendance marocaine à la Tricontinentale ; Aboubakr Jamaï, figure marquante du journalisme indépendant au Maroc et au Maghreb, fondateur du magazine Le journal hebdomadaire et directeur du site d’information <www.lakome.com> Daniel Lindenberg, historien des idées et professeur émérite à l’Université Paris 8, auteur de Le rappel à l’ordre. Enquête sur les nouveaux réactionnaires (2002).

Plusieurs universitaires, salués par la communauté savante pour la qualité de leurs publications, participeront aux travaux de ce colloque international qu’organise El Watan avec la coopération de l’Institut Maghreb Europe de l’Université Paris 8 les 23, 24 et 25 septembre prochains à Alger. On peut citer parmi eux : Salah Abd al Jawad, doyen de la faculté de droit et des affaires publiques de l’Université Birzeit (Palestine) ; Tewfik Acklimandos, chercheur invité au Collège de France, auteur de très nombreuses études sur les Officiers libres, l’Armée égyptienne et les Frères musulmans; Farid Alibi, professeur de philosophie à l’université de Kairouan, auteur d’un ouvrage important sur le rationalisme d’Ibn Rushd paru au Liban en 2007 ; Amy Austin, professeur à l’American University in Cairo et auteur d’un ouvrage à paraître chez Cambridge University Press sur une étude comparée de la présence militaire américaine en Turquie et en Allemagne et d’une recherche sur la révolte au Bahreïn ; Youssef Belal, chercheur au Middle East Institute, Columbia University (New York), spécialiste du Maroc ; Sarah Ben Néfissa, chercheure à l’Institut de recherche et de développement (IRD), coauteure de Le clientélisme politique et les élections égyptiennes (2005) ; L’Egypte sous pression ? Des mobilisations au verrouillage politique (Politique africaine, 2008) ; Omar Carlier, historien, professeur des Universités à l’Université Paris Diderot, auteur du beau livre

Entre nation et jihad. Histoire sociale des radicalismes algériens (1995) et de nombreuses études publiées dans de prestigieuses revues académiques telles que Les Annales ; Myriam Catusse, politologue, chercheure au CNRS. Auteure de nombreux travaux de référence dont Le temps des entrepreneurs. Politique et transformation du capitalisme au Maroc (2008) ; Jean-Paul Chagnolaud, politologue, professeur des universités à l’Université Cergy-Pontoise, directeur de la revue Confluences Méditerranée ; Djamel Guerid, sociologue, professeur à l’université d’Oran, auteur de nombreux travaux de référence sur  la sociologie du milieu industriel algérien des années 1970, d’une réflexion solide et courageuse sur l’université algérienne, auteur de L’exception algérienne.

La modernisation à l’épreuve de la société  (2007) ; Aïssa Kadri, sociologue, directeur de l’Institut Maghreb Europe, professeur des universités à l’Université Paris 8, auteur de nombreux travaux sur les générations intellectuelles et la sociologie des élites maghrébines ; Salam Kawakibi, politologue syrien, chercheur au centre Arab Reform Initiative ; Pascal Ménoret, politologue, assistant professeur à New York University Abu Dhabi, spécialiste de l’Arabie Saoudite, auteur de L’énigme saoudienne ; Khadija Mohsen-Finan, politologue, maître de conférences à sciences-po Paris, spécialiste du Maghreb, auteure de Le Maghreb après le 11 septembre (2002) et de Les médias en Méditerranée : nouveaux médias, monde arabe et relations internationales (2009) ; Hugh Roberts, politologue, ancien directeur du bureau Afrique du Nord de l’International Crisis Group, nommé depuis peu professeur à Tufts University (Etats-Unis), auteur de nombreux travaux dont The Battelfield. Algeria 1988-2002 (2003) ; Fatiha Talahite, économiste, chercheure au CNRS, auteure de nombreuses études sur l’économie et les rouages de la corruption en Algérie.
La manifestation intellectuelle et citoyenne d’El Watan se clôturera, la soirée du 25 septembre, par un concert de musique andalouse – le colloque comme le concert étant ouvert au public.

Mohammed Hachemaoui, Professeur invité, Université Paris 8, Concepteur du colloque

Lu pour vous dans EL WATAN

le 18.09.11

Appel et contre-appel au soulèvement : Quand la rumeur aggrave la confusion politique

Un étrange appel à un soulèvement populaire ayant circulé sur facebook, puis des sms appelant au calme ont créé un climat de psychose généralisé. Relents de manipulation : ceux qui ont appelé à rester chez soi, le 17 septembre, ne sont pas identifiés, tout comme
les initiateurs de l’appel à manifester.

L’adage populaire dit que «la peur fait courir même les vieux». On peut y ajouter qu’elle peut même être source d’inspiration pour les plus machiavéliques desseins. L’appel à sortir manifester le 17 septembre contre le pouvoir en Algérie, puis celui de faire barrage à cet appel en assimilant la survie de la nation à celle du pouvoir, relève de la pure manipulation. Tout comme les initiateurs de l’appel à manifester, ceux qui ont appelé à rester chez soi le 17 septembre, ne sont pas identifiés.

D’une rumeur amplifiée sur le réseau social facebook, jusqu’aux propos tenus par le ministre de l’Intérieur sur une hypothétique «menace extérieure», en passant par une campagne orchestrée en règle par certains journaux proches du cercle du pouvoir contre une prétendue «main étrangère qui veut déstabiliser le pays», la manœuvre semble être bien tissée et montée comme une pièce théâtrale pour faire œuvre de propagande «anti-révolution». Hier, une journée ordinaire s’est offerte à la capitale, Alger, qui, la veille, guettait en sourdine les signes d’un bombardement israélien, ou d’une agression de l’OTAN, ou d’une manifestation que guiderait un bouffon «philosophe-imposteur», cheveux au vent. Il n’en était rien hier. La supercherie, orchestrée dans de sombres officines, a fini par traduire ce qu’elle est réellement, un tissu de mensonges. Une grosse couleuvre, bien grasse et difficile à avaler. On peut être tentés de se poser la question de savoir pourquoi s’aventurer à faire circuler une telle menace ?

Dans les multiples techniques de manipulation, celle consistant à faire craindre une terrible situation et offrir la solution en même temps, en est une bien connue. La situation créée et imaginée suscitera à son tour la réaction souhaitée de la part du public cible. Ce dernier, et en pensant aux conséquences terribles, s’abstient de s’y inscrire et d’y participer. On invoque les constantes nationales et les causes unificatrices pour fédérer le maximum de personnes. On créé de fausses menaces, de faux sursauts nationalistes et on invoque la fameuse «union contre l’ennemi commun». C’est ainsi que cette opération, même relayée par la Télévision nationale, a rappelé le triste souvenir de Sabra et Chatila ; et a appelé à l’utilisation du symbole de l’emblème national. L’appel à l’émotion consommé, la raison peut sommeiller. Toutes les manœuvres sont porteuses lorsqu’il s’agit de faire barrage à l’«ogre étranger». Le but de la manœuvre étant de créer la psychose et de semer le doute sur l’option de la révolte comme moyen de lutte pour avoir ses droits.

Il s’agit aussi de jeter la suspicion sur d’éventuels et futurs appels au sursaut contre la hogra et l’oppression. L’attention du public étant ainsi détournée des réelles préoccupations qui accompagnent cette rentrée sociale, le recroquevillement sur soi, le sentiment de culpabilité qui s’empare de celui de la révolte, devient le refuge où se meurent les aspirations au changement. L’expression «manipulez, manipulez, il en restera quelque chose» n’a jamais été aussi vraie. On occupe les esprits pour un temps, mais en pensant à un impact futur. Le génie des peuples est de justement se soustraire au «prêt-à-penser».

Nadjia Bouaricha

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