Algérie, une seconde révolution? (21)

4 mai 2011

Lu pour vous dans EL WATAN

le 05.05.11

Médecins résidents : Une marche malgré l’interdit

Les résidents, les étudiants en sciences médicales, internes ou externes, ont réussi l’impensable : marcher dans la capitale. Ils étaient ainsi plus d’un millier de blouses blanches à avoir manifesté, hier, de la présidence de la République à la place du 1er Mai. Pourtant, cette marche n’était pas prévue. Initialement, au programme, un «simple sit-in» était programmé à El Mouradia. Pourtant, l’accueil réservé par les forces de l’ordre aux contestataires en a décidé du contraire.
La tension était d’ailleurs palpable bien avant l’heure fixée du rendez-vous. «Les policiers ont empêché les résidents, même seuls, de se diriger vers la Présidence afin de prendre place sur les trottoirs, comme à l’accoutumée. Ils n’ont pas hésité à disperser violemment des petits rassemblements de trois ou quatre personnes», raconte, outré, Boutalbi Massinissa, délégué des résidents du CHU de Kouba.
Bousculant à tout-va, empoignant la foule sans distinction, traînant par terre les récalcitrants, les éléments antiémeute n’ont pas lésiné sur la brutalité afin de contenir les manifestants. Plusieurs personnes ont d’ailleurs été interpellées, brutalement dans la plupart des cas. «Elles ont été embarquées vers on ne sait où pour être relâchées un peu plus tard», rassure le docteur Sahnoun, délégué du Camra.
Les policiers n’ont d’ailleurs épargné personne. Un photographe d’El Khabar, l’objectif braqué sur les scènes d’empoignade, s’est fait confisquer son matériel, après avoir été brutalisé par des agents. «Mais dans quelle République sommes-nous pour que des citoyens soient traités de la sorte ?» hurle le docteur Yelles, une fois la situation «pacifiée», l’ensemble des manifestants ayant été parqués sur les trottoirs. «Nous allons vers l’arrêt des gardes, vers la démission collective. Que le gouvernement et la Présidence assument leurs responsabilités, puisque c’est là le sort que l’on nous réserve», ajoute-t-il sous les hourras de la foule et les klaxons des voitures. Les blouses blanches n’ont pas dit leur dernier mot. De bouche à oreille, résidents et étudiants se passent le «plan B». «Nous étions loin de nous imaginer qu’ils nous brutaliseraient. Ainsi soit-il, alors. Nous allons marcher et leur montrer que nous ne nous laissons pas intimider», souffle, l’œil noir, le docteur Yelles.
Déferlante blanche
Persuadés, sûrement, que les manifestants se dispersaient, les policiers ne semblaient pas avoir anticipé les choses. Grappe par grappe, les blouses blanches s’élancent. Des pas timides et lents pour commencer, puis les choses s’accélèrent. C’est ainsi qu’une vague blanche arrive à déborder les forces antiémeute. La déferlante bloque la circulation automobile, avant d’être maîtrisée et cantonnée sur une partie de la chaussée. Là, on donne l’ordre, dans des hurlements, de repousser, de frapper, de matraquer.
Des étudiants sont même violemment poussés dans les escaliers, en contrebas de la rue principale. La confrontation dure quelques dizaines de minutes. Puis une nouvelle fois, les manifestants s’élancent, grappillant centimètre par centimètre, se jouant des policiers, courant à en perdre haleine. «Nous avons réussi à déjouer leurs stratagèmes, à leur échapper», hurle une jeune fille à l’adresse de son amie.
Ce sont alors des centaines de résidents et d’étudiants survoltés, galvanisés par leur exploit, qui dévalent à toute allure la pente qui mène du Golfe à la place du 1er Mai. Un cordon de policiers, mince il est vrai, tente évidemment de les stopper dans leur élan au niveau de Laperrine. En vain. «Nous l’avons fait !», hurle, rouge d’excitation, le docteur Sahnoun, en lançant un regard circulaire sur la fontaine de la place.
Après quelques minutes, les manifestants se dirigent d’eux-mêmes vers l’entrée de l’hôpital, où ils se rassemblent. Heureux, grisés, repus de ce succès, ils y resteront pendant plus d’une heure. Les chants se mêlent aux slogans, les mécontentements aux rires. «Les blouses blanches sont plus que jamais déterminées, plus que jamais unies», lance fièrement Rachid Chouitem, porte-parole de la Coordination nationale des étudiants en pharmacie. «Nous ne sommes pas montés à la Présidence. Mais avons marché de la présidence à l’hôpital… afin de faire redescendre les autorités dans notre amère réalité !»

Ghania Lassal


Lu pour vous dans EL WATAN

le 05.05.11

Le dernier coup d’Etat

Une polémique s’est instaurée dans la presse au sujet des dernières déclarations de maître Ali Yahia Abdennour au sujet de l’état de santé du Président et du rôle de l’armée par rapport à cette situation.

Le président d’honneur de la LADDH a suggéré que l’armée tire les conséquences de l’impotence du chef de l’Etat. Beaucoup d’observateurs ont jugé ces propos comme un appel à un putsch et comme une violation de la légalité constitutionnelle. Il me semble qu’à ce sujet, il y a des confusions à éviter pour mettre le débat et ses enjeux dans leur contexte historique et politique. La légalité impose d’obéir au pouvoir en place. Lorsque l’armée tunisienne a refusé de tirer sur les jeunes qui manifestaient, elle a désobéi à Ben Ali, chef légal de la Tunisie. En désobéissant, l’armée tunisienne a violé la légalité. Idem pour l’armée égytienne qui a refusé les ordres de Moubarak. Faire appel en Algérie à l’armée pour déposer un président malade et incapable de faire face à la situation n’est pas un appel à un coup d’Etat pour la simple raison que l’expression «coup d’Etat» n’a de sens que dans le cadre de la violation de l’ordre constitutionnel d’un Etat de droit. Or, l’Algérie n’est pas un Etat de droit et, pour des raisons historiques, elle est dans le coup d’Etat permanent depuis l’indépendance.

Si l’histoire se faisait de manière rationnelle, l’armée devrait intervenir, une dernière fois, pour mettre fin au coup d’Etat permanent institué depuis 1962 avec le renversement du GPRA. Juillet 1962, juin 1965, décembre 1978, janvier 1992, septembre 1998 sont autant de dates qui indiquent que l’armée exerce une tutelle sur l’Etat en désignant le président, cela s’appelle «coup d’Etat permanent». Faire appel à l’armée pour une rupture du coup d’Etat permanent n’est pas un appel à un putsch, mais au contraire, une tentative de débloquer la crise née du renversement du GPRA et aussi de la volonté de l’armée de se substituer au corps électoral exerçant en son nom la souveraineté. Pour comprendre cette situation, il faut revenir sur la formation historique du système politique algérien et sur les concepts de légalité et de légitimité.
L’Etat algérien a été créé par l’ALN, dont a hérité formellement l’ANP qui ne voulait pas que, par le jeu constitutionnel, cet Etat tombe entre les mains de courants politiques antipopulaires. C’est pourquoi, l’armée s’est appelée nationale et populaire pour signifier qu’elle n’est pas une institution politiquement neutre. Croyant bien faire, elle a mis sous tutelle l’Etat indépendant pour qu’il soit au service du peuple. Cette position, partagée largement par de nombreux anciens maquisards et nationalistes des années 1950 et 1960, exprime les limites idéologiques du mouvement national. Ces limites appartiennent à l’histoire et la société algérienne ne pouvait transcender ses capacités culturelles pour donner naissance à un Etat de droit. Il est vrai qu’il y a eu des nationalistes qui ont attiré le danger sur les pièges du populisme qui a investi l’armée du pouvoir souverain, mais ils n’ont pas été écoutés et ont été emprisonnés ou exilés. Ce sont, entre autres, Hocine Aït Ahmed, Ferhat Abbas et le commandant Moussa. Leur défaut est d’avoir été en avance sur leur société. Cinquante ans après, malheureusement, l’histoire leur a donné raison.
Dans les années qui ont suivi l’indépendance, la légalité avait pour fondement la légitimité historique incarnée par le Bureau politique du FLN et ensuite par le Conseil de la révolution. Même reposant sur le système du parti unique, le régime à l’époque avait une cohérence politico-idéologique en rapport avec l’histoire. Mais avec le déclin de la légitimité historique (renouvellement des générations et disparition des officiers issus des maquis), la légalité a reposé sur les institutions depuis Chadli Bendjedid, élu et réélu dans le cadre de la fiction du système du parti unique. Cette fiction a volé en éclats en octobre 1988 qui a montré que le FLN n’était pas un parti, mais une annexe de l’administration chargée de gérer la rente symbolique souvent au profit du régime et parfois au profit de ses employés.
Une nouvelle Constitution a vu le jour et le multipartisme a été légalisé. Malheureusement, la Constitution de 1989 n’est pas arrivée à mettre fin au coup d’Etat permanent. Le commandement militaire de l’époque a pensé manipuler les partis pour demeurer la source du pouvoir. Cela a mené au coup d’Etat de janvier 1992 qui a brutalement violé, encore une fois, la légalité. A ce niveau, il faut nous demander qu’est-ce que la légalité et par qui est-elle produite ?

La légalité est le cadre politicio-juridique que se donne un pouvoir pour légitimer les rapports d’autorité par lesquels il se reproduit. Un pouvoir, dès lors qu’il existe, est légal même s’il lui manque la légitimité populaire. Une dictature militaire crée sa propre légalité. Le pouvoir en Algérie est légal du fait qu’il existe et il se donne depuis 1989 pour fondement la légitimité électorale. Le problème, c’est que les élections sont truquées et les campagnes électorales sont à sens unique. Le régime algérien ne survit que grâce au coup d’Etat permanent. Tout système de pouvoir produit sa légalité, c’est-à-dire, il établit des règles qui légitiment les rapports d’autorité. Or en Algérie, la légalité produite par le régime est à géométrie variable puisqu’elle n’est invoquée que pour neutraliser l’opposition. Le pouvoir a toujours violé sa propre légalité, à commencer par l’annulation des élections de décembre 1991, la démission forcée de Chadli Bendjedid, celle de Liamine Zeroual, la modification de la Constitution pour permettre le 3e mandat de Bouteflika. Les activités du DRS pour museler la société civile sont anticonstitutionnelles et donc illégales.

Par conséquent, demander à l’armée de violer – pour la dernière fois – la légalité illégitime pour sauver le pays d’un tsunami politique, ce n’est pas appeler à un putsch. L’armée a des responsabilités historiques : elle a créé cet Etat, et depuis l’indépendance, elle a refusé qu’il devienne un Etat de droit de peur qu’il échappe à son contrôle. Pour se racheter, pour se réconcilier avec le peuple, elle doit faire le dernier coup d’Etat pour mettre fin au coup d’Etat permanent et pour aider, comme en Egypte, la transition démocratique. C’est la moindre des choses qu’elle doit à ce peuple. Carl Schmitt, philosophe allemand, qui a beaucoup écrit sur la légalité et la légitimité, explique qu’il y a des moments où, face à un danger imminent, le souverain viole sa propre légalité dans une situation d’exception. Pour des raisons historiques, l’Etat algérien est dans une situation d’exception depuis sa naissance.

Pour éviter une confrontation violente avec la population – car l’Algérie n’est pas à l’abri de la fièvre démocratique qui s’est emparée de la région – l’armée devrait mettre fin à la situation d’exception héritée du passé et permettre à un Conseil de transition d’organiser des élections dans un délai de six mois à un an, des élections libres ouvertes à toutes les sensibilités de la société. L’objectif est de créer une nouvelle légalité reposant sur la légitimité populaire. Le dernier coup d’Etat mettra fin à la mystique populiste qui érige l’armée en souverain.
Les générations nées après l’indépendance sont attachées à leur armée, car elles savent que leurs parents ont souffert pour la créer durant la guerre de Libération nationale. Elle est le seul acquis tangible du mouvement de libération nationale. C’est aux officiers du commandement militaire de montrer qu’ils sont avec leur peuple en prenant deux décisions : la destitution de Bouteflika pour maladie et incompétence, et la dissolution du DRS pour activités illégales.

Lahouari Addi.
Professeur des universités

Lu pour vous dans EL WATAN

le 04.05.11

Marche du 2 mai

Les étudiants choqués par la brutalité policière

La Coordination nationale des étudiants a dénoncé l’attitude du président de la République quant à la crise qui secoue l’université algérienne lors d’un point de presse tenu hier à Alger. «Nous dénonçons l’attitude du président de la République qui n’a dit aucun mot sur la crise de l’université algérienne dans le discours qu’il a prononcé à l’occasion du 16 avril, Journée nationale du savoir», déclarent les membres de la commission mandatée par la CNAE.


Les membres de la CNAE déclarent qu’une soixantaine de blessés dont 10 dans un état grave ont été enregistrés lors de la marche d’avant-hier. La CNAE qualifie le déploiement des agents des forces de l’ordre de «dispositif monstrueux». Ce qui a obligé les étudiants, qui ont réussi à arriver à Alger, d’improviser une marche de la fac centrale. «Des bus transportant des étudiants ont été empêchés d’arriver à Alger. Ceux qui ont réussi à entrer à Alger ont été bloqués dans les bus à la gare routière du Caroubier», explique les membres de la CNAE. Et d’ajouter : «Le peu d’étudiants qui ont réussi à arriver à la Grande-Poste dont le nombre est estimé entre 200 et 300 personnes, a été vite cerné. Une centaine d’étudiants ont été refoulés de Tafourah. La police les a forcés à changer d’itinéraire.» «La fouille systématique et la chasse à l’étudiant dans le centre d’Alger et sa périphérie sont les deux pratiques adoptées par la police», a déploré l’un des membres de la commission mandatée par la CNAE.

Cet étudiant a condamné la répression exercée dans les cités universitaires d’Alger, notamment à l’ITFC. «La police est venue la veille de la marche pour nous empêcher de passer la nuit à l’ITFC», a-t-il regretté. Malgré la répression féroce, les membres de la CNAE considèrent tout de même leur action comme une réussite dans la mesure où les marches et les rassemblements sont interdits à Alger. Ils affirment également que «la protestation va continuer tant que la tutelle fait la sourde oreille. Mais sa forme va peut-être changer». Au sujet des slogans jugés «politiques», les membres de la CNAE estiment que «quand on tabasse un étudiant en lui causant des blessures graves, ce dernier ne peut que qualifier le pouvoir d’assassin». Toutefois, ces étudiants insistent sur le fait que dans leur plate-forme de revendications, ne figure aucune revendication politique. Quant à la manipulation des partis politiques pour le mouvement estudiantin, soulevée par certains médias nationaux, ces étudiants affirment que leur mouvement «n’est pas apolitique. Car il n’y a pas de problèmes qui ne sont pas politiques», précisant que «la CNAE n’est proche d’aucun parti politique. Son travail est purement syndical. Mais, il se trouve que parmi ses membres, il y a des militants du RCD, du FFS et du MSP…»

Djedjiga Rahmani

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