Algérie, une seconde révolution? (30)

22 juillet 2011

Lu pour vous dans EL WATAN

le 21.07.11

L’OVIF dénonce les expéditions punitives contre les femmes

«En l’absence de l’Etat, tout individu peut se substituer à la loi»

L’Observatoire des violences contre les femmes (OVIF) a dénoncé, hier, les expéditions punitives menées par certains groupes d’hommes contre les femmes sous prétexte de moralisation de la société.

Lors d’une conférence de presse animée hier à Alger, Cherifa Khadar et Dalila Djerbal, deux responsables de l’OVIF, ont qualifié de scandaleux ce qui s’est passé dernièrement à M’sila et avant cela à Ouargla, Remchi, Hassi Messaoud et Bordj. Considérées par leur voisinage comme «des prostituées potentielles», car elles vivent seules et sous prétexte d’assainissement des mœurs, des groupes d’individus organisent des expéditions punitives contre ces femmes. «Dans beaucoup de cas, c’est la rumeur qui tient lieu d’acte d’accusation. Des personnes, dont la moralité et la crédibilité ne sont pas toujours démontrées, s’érigent en tribunal ; elles dressent l’acte d’accusation et mobilisent l’opinion pour l’exécution sommaire !» s’offusque Dalila Djerbal. Elle est persuadée que ces «justiciers», qui se mettent à plusieurs centaines pour se donner du courage et se rassurer du bien-fondé de leur crime, qui brûlent les maisons des femmes, les agressent au nom de la morale, sont les mêmes à utiliser les femmes comme des objets sexuels pour assouvir leurs frustrations.
Des actions, affirme-t-elle, doivent être engagées pour la protection des citoyens, car les femmes restent le maillon faible qui sert d’exutoire à la mal-vie et aux injustices, et la prostitution n’est qu’un alibi, mais un alibi systématique. Dans la foulée, l’observatoire condamne la manière laxiste avec laquelle les pouvoirs publics réagissent à ces expéditions punitives : «Ce que nous dénonçons dans l’affaire de M’sila et toutes celles qui l’ont précédée, c’est l’absence de l’Etat qui fait que tout individu peut se substituer à la loi et trouver prétexte dans la moralisation de la société pour attenter à la sécurité des femmes», s’insurge l’oratrice qui insiste sur le fait que les auteurs de ces expéditions punitives avancent à chaque fois l’argument de la prostitution.
VULNÉRABILITÉ ET DÉTRESSE SOCIALE
L’observatoire considère à cet effet que «le système de prostitution» est une forme grave de violence contre les femmes qui se situe dans le même continuum que les autres. «La prostitution est d’abord un système qui bénéficie aux hommes. Ce sont eux les “consommateurs” et elle alimente en milliards des réseaux mafieux bien protégés et auxquels participent parfois des femmes. La prostitution, par contre, détruit les vraies victimes : des femmes, des enfants et des jeunes hommes», déclare la représentante de l’OVIF qui note que le système de prostitution prospère grâce à la précarité sociale de plus en plus large, parce que des catégories sociales traînent de lourdes détresses familiales ou des violences jamais dénoncées et surtout impunies. Pour les associations féminines, le phénomène de la prostitution est toléré, même par les potentiels agresseurs, quand il est caché.

L’observatoire dénonce ces réseaux criminels qui profitent de la vulnérabilité et de la détresse sociale de certaines femmes pour les exploiter et condamne le fait que certaines personnes se substituent à la justice, qui doit être la seule, a insisté Mme Djerbal, habilitée à se prononcer sur des faits quelle qu’en soit la nature. Pour elle, il est impératif que l’Etat s’implique pour mettre un terme aux violences contre les femmes ou, au moins, en atténuer les proportions. «Quand bien même des faits de prostitution sont prouvés, personne n’a le doit de faire le travail de la justice. Il y a le code pénal, il y a des lois internationales ratifiées par l’Algérie comme la charte contre la traite des humains», martèle-t-elle.
Ainsi, les associations membres de l’OVIF demandent aux pouvoirs publics de mettre en place les mécanismes nécessaires pour interdire la prostitution. «On demande seulement de respecter les conventions ratifiées par l’Algérie dont celle qui considère la prostitution comme étant incompatible avec la dignité et la valeur de la personne humaine», précise pour sa part Cherifa Kheddar.

Nabila Amir


Lu pour vous dans EL WATAN

le 15.07.11

Les attentats se multiplient dans le pays

Montée inquiétante du terrorisme

«Ni paix ni réconciliation». Placardé en Kabylie au lendemain de la promulgation de la loi d’amnistie approuvée par référendum, ce slogan est toujours d’une «brûlante»  actualité. Douze ans après, le GSPC, rebaptisé Al Qaîda au Maghreb islamique, n’est pas prêt à renoncer au «djihad».

Annoncés comme laminés, les maquis se ressourcent, contredisant sur le terrain l’accalmie prônée par le discours officiel. Une lecture des attentats perpétrés dans les wilayas du centre du pays ces derniers mois renseigne sur la régénération des capacités de frappe de la branche locale de l’organisation de Droukdel. 30 militaires et deux gendarmes ont été tués depuis le 16 avril dernier dans des attaques terroristes perpétrées à Azazga, Ammal, Lakhdaria et  Ziama Mansouriah, dans les wilayas de Tizi Ouzou, Boumerdès, Bouira et Jijel.
A Azazga, à une quarantaine de kilomètres à l’est de Tizi Ouzou, un groupe d’individus armés, composé d’une quarantaine d’éléments, a attaqué, le 15 avril dernier en début de soirée, un campement militaire stationné à quelques encablures de l’hôpital de la ville.

Bilan : 17 soldats tués et 20 autres blessés. Pendant l’attaque, un autre groupe a dressé un faux barrage non loin du lieu de l’attentat, pour intercepter les automobilistes de passage. Deux jours plus tard, cinq militaires ont été tués en milieu de journée, dans un attentat perpétré à Ammal, 25 km à l’est de Boumerdès. Les victimes sont tombées dans une embuscade tendue par un groupe terroriste fortement armé dans la localité de Doukane, un village frontalier avec le maquis de Djerrah à l’ouest d’Ammal. Deux autres militaires ont été blessés. Cet attentat est considéré comme le plus meurtrier commis dans cette région. A Jijel, sept soldats ont été tués et trois terroristes abattus vendredi lors d’une attaque contre un poste militaire avancé dans la région Ziama Mansouriah, à 40 km à l’ouest de Jijel. Un huitième militaire est porté disparu et deux ont été blessés lors de cette attaque à l’arme automatique.
La semaine dernière, le 6 mai, cinq militaires ont été tués et cinq blessés dans un attentat à la bombe qui avait été perpétré dans la même région contre un convoi militaire. Dans la wilaya de Bouira, trois attentats à la bombe ont été commis depuis le début du mois en cours. L’on déplore, par ailleurs, le rapt de deux personnes.
Le dernier attentat remonte à vendredi dernier sur un axe autoroutier, à la sortie de la ville de Kadiria. Une bombe a explosé au passage d’une patrouille de la Gendarmerie nationale sans faire de victime. Lundi 9 mai, une autre bombe, visant un convoi de gendarmerie, a explosé à l’est de Lakhdaria. Au courant du même mois, trois gendarmes ont été blessés dans l’explosion d’un engin, à la sortie de la même ville. Une autre attaque terroriste avait coûté, pour rappel, la vie à un gendarme le 17 avril dernier, dans l’explosion d’une bombe à proximité de la base vie de l’entreprise chinoise CTIC-CRCC, chargée des travaux d’un tronçon autoroutier. A Tizi Ouzou, c’est le phénomène des kidnappings qui accroît le climat d’insécurité régnant dans la wilaya depuis plusieurs années.
Le dernier rapt a ciblé mercredi le frère d’un entrepreneur sur la route de Beni Douala. Avec cet enlèvement, la wilaya de Tizi Ouzou enregistre son 64e rapt depuis 2006. Les localités de Maâtkas, Boghni et Ouacifs, situées dans le versant sud de la région, sont les plus touchées par ce phénomène. D’autres enlèvements ont été enregistrés à Fréha, Iflissen, Aghribs et Aït Yahia Moussa. La daïra de Maâtkas compte, à elle seule, une dizaine de cas d’enlèvement de commerçants qui se sont soldés par le versement de fortes rançons en échange de la libération des otages. A Tizi Ouzou comme ailleurs, les citoyens se sentent livrés à eux-mêmes, notamment dans les zones rurales sans couverture sécuritaire efficace en dépit du déploiement des militaires dans le cadre des opérations de ratissage. La guerre contre le terrorisme n’est pas encore gagnée.

Ahcène Tahraoui


Lu pour vous dans EL WATAN

le 09.07.11

Mohamed Gharbi : «J’ai cru en la réconciliation avec ces repentis avant d’y découvrir une violente trahison»

Après dix années de prison et une très forte mobilisation citoyenne, le moudjahid et également ancien chef de GLD dans la lutte antiterroriste, Mohamed Gharbi, a été libéré le 5 juillet. Il revient, dans cet entretien qu’il a bien voulu nous accorder en marge de ses retrouvailles avec les siens, sur le meurtre qu’il a commis sur Ali Merad, un terroriste repenti qui le menaçait de mort dans sa ville natale de Souk Ahras, en février 2001. Aujourd’hui âgé de 75 ans, Mohamed Gharbi se livre avec autant de lucidité que d’émotion pour expliquer son acte, révéler ce qu’il pense de la réconciliation nationale et témoigner de son optimisme inconditionnel pour l’avenir de l’Algérie.

– Quelle a été votre première impression à la rencontre des jeunes qui ont milité des mois durant pour votre libération ?
Je crois plus que jamais en la force de la jeunesse algérienne. Elle me réconforte dans l’idéal que j’ai pour l’Algérie. Une image pleine de force, de pureté et d’amour. J’avoue que je me sens quelque peu déconcerté par la joie et le soulagement qui se mêlent à une très grande fatigue. Mais ce dont je suis sûr, c’est que dès que j’ai appris l’existence du collectif LMG et que j’ai vu les tee-shirts qu’ils ont fabriqués pour défendre ma cause, j’ai ressenti un immense espoir pour l’Algérie. Je me suis rendu compte que cette passion patriotique qui nous a animés durant la guerre de Libération nationale est encore vive. Il m’est arrivé très souvent d’oublier que j’étais en prison. Il se passait tellement de choses dans ma tête. Je ne me sentais pas seul. Les mots me manquent pour exprimer toute la gratitude que je ressens pour ces jeunes qui symbolisent pour moi toute la beauté de l’Algérie, pour laquelle je n’ai jamais hésité à prendre les armes.
– Le 11 février 2001, à la cité des 1500 Logements de Souk Ahras, vous avez tiré et Ali Merad est tombé. Depuis, votre vie a basculé. Pouvez-vous nous raconter ce qui s’est exactement passé dans votre esprit ce jour-là ?
En réalité, tout a commencé le 2 février. J’étais allé à l’enterrement d’un ami moudjahid, Noubli Zine. C’était un moment de recueillement à Souk Ahras où on a eu l’occasion de se retrouver. A cette époque, nous parlions beaucoup du terrorisme, de la concorde civile et de la responsabilité des terroristes dans les tueries qui ont marqué la région.
J’ai donc tardé à rentrer chez moi. Sur le chemin du retour,  j’ai remarqué une voiture garée de manière suspecte. J’ai ralenti, Ali Merad est apparu, il a brandi son arme et m’a insulté : «T’es arrivé, espèce de taghout !» Je me suis enfui car je n’étais pas armé ce jour-là. Je suis rentré chez moi complètement perturbé, j’ai veillé toute la nuit, ma kalachnikov à la main, sur la terrasse, persuadé qu’il allait venir me tuer. Le lendemain matin, je suis allé me plaindre par écrit au chef de la sécurité et à la police. Ils n’ont pas voulu prendre ses menaces au sérieux. Je me suis même adressé à son père, qui est d’ailleurs un ancien moudjahid que je connais bien et qui était peu fier des activités terroristes et provocatrices de son fils. Il m’a conseillé de l’ignorer : «Matekhessarch alih yedik (ne te salis pas les mains pour lui)», m’avait-il dit. J’ai attendu sept jours puis, très tôt dans la matinée du 11 février 2001, je suis allé près de chez lui. J’ai attendu trois heures, il pleuvait, mais il s’agissait pour moi d’agir selon une stratégie militaire.
Il est sorti accompagné d’un jeune garçon, c’était son neveu. Je ne voulais pas tirer devant l’enfant. Ils se sont éloignés, je les ai suivis. Le jeune garçon est parti et Ali Merad a rebroussé chemin ; je me suis alors approché de lui, je l’ai interpellé, menacé de mon arme et enlevé ma cagoule pour qu’il me reconnaisse. Je lui ai alors dit tout le mépris que j’avais de lui : «Tu es un tueur, tu t’en pris au peuple algérien et tu oses te pavaner et nous narguer ?» Je lui ai ordonné de s’expliquer. Il était terrorisé et n’a prononcé aucun mot. J’ai hurlé «tahya El Djazaïr» et j’ai tiré au nom du peuple algérien et du sang des martyrs. Trois balles traçantes dans la poitrine. Il est tombé, j’ai vidé mon chargeur sur son corps. Personne ne savait qui j’étais. Les femmes de la cité se sont mises à lancer des youyous de leurs balcons à la gloire du «martyr» en criant «tahya el djabha el islamya» (vive le front islamique), j’ai alors hurlé «tahya djabhate etahrir el watani» (vive le Front de libération nationale) en tirant en l’air. J’ai enlevé la plaque d’une bouche d’évacuation d’eau de pluie et j’ai mis son corps à l’intérieur pour que son sang de terroriste ne coule pas sur notre terre.
En le tirant, j’ai remarqué un pistolet automatique à sa ceinture. J’ai demandé aux gens du quartier de m’expliquer pourquoi ce repenti était armé alors qu’il n’en avait pas le droit. Un officier de la gendarmerie m’a ensuite expliqué, lors de mon arrestation, que c’était le commandant du secteur qui avait donné cette arme au repenti. Ali Merad voulait me tuer avec une arme fournie par l’Etat, une véritable trahison. J’ai ajouté «vive le peuple algérien que je viens de débarrasser d’un criminel terroriste». Je suis Chaoui et fier d’être algérien. J’ai attendu que la police vienne pour me rendre.
– S’ensuit un procès en trois étapes : d’abord 20 ans de réclusion en 2004, puis suite à vos appels une condamnation à perpétuité en 2007, puis une condamnation à mort en 2009 avant de bénéficier d’une grâce présidentielle, puis d’une libération conditionnelle. Comment avez-vous vécu ces jugements ?
Ces jugements n’ont pas diminué mon amour du pays ni ma conviction d’avoir bien fait.
D’ailleurs, quand on m’a annoncé que j’étais condamné à mort, j’ai répondu par deux phrases : «Tahya El Djazaïr wa tahya chouhada (vive l’Algérie et vive nos martyrs).» Vous savez, je suis très pieux, je crois en la justice divine. J’ai tué cet homme pour me défendre. J’ai jeûné deux mois d’affilée et je continue à le faire tous les jeudis et vendredis pour me purifier aux yeux de Dieu. C’est tout ce qui compte pour moi. J’ai la conscience tranquille.
– Vous avez combattu le terrorisme en tant que chef du Groupe de légitime défense (GLD), vous avez ensuite soutenu la concorde civile pour finir par vous déjuger en tuant Ali Merad. Comment l’expliquez-vous ?
Je rêvais d’un retour au calme dans la région, je rêvais de paix, alors oui j’ai cru et adhéré à l’idée de la concorde civile. J’ai cru en une réconciliation avec ces anciens terroristes, mais ces hommes continuaient à être armés et se permettaient de nous narguer, nous terroriser dans nos propres quartiers. Je me suis alors rendu compte que cette réconciliation était une violente trahison.
– Certains pensent aujourd’hui que vous n’aviez pas à vous rendre justice par vous-même en tuant un homme. Que répondez-vous à cela ?
Je n’ai pas tué cet homme par vengeance et ce n’était pas un acte politique. Je l’ai tué parce qu’il me menaçait de mort. Si les services de sécurité et la justice avaient fait leur travail, je n’en serais pas arrivé là.
– Il s’est passé beaucoup de choses en Algérie depuis 2001 et, en même temps, rien de bien marquant. Est-ce que vous aviez, en prison, l’occasion de vous tenir au courant ?
Je ne sais ni lire ni écrire, cela dit des amis en prison, auxquels je tiens d’ailleurs à rendre hommage, arrivaient à se débrouiller quelques titres de la presse qu’ils me lisaient patiemment.
– Que pensez-vous alors de la contestation sociale qui secoue le pays depuis le début de l’année ?
Je ne m’inquiète vraiment pas pour l’Algérie. Elle a des hommes et des femmes de valeur qui se battent pour des principes. C’est d’ailleurs grâce à eux que je suis aujourd’hui libre.
– Quels sont vos projets, maintenant ?
Je ne compte pas retourner à Souk Ahras pour diverses raisons. Je veux juste vivre sereinement auprès de ma petite famille avec laquelle je vais m’installer dans une autre ville…

Fella Bouredji

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