Algérie, une seconde révolution? (19)

1 mai 2011

Lu pour vous dans EL WATAN

le 28.04.11

Mort douteuse de Ahmed Kerroumi : Le silence de la justice alimente les suspicions

L’affaire du professeur Kerroumi, retrouvé mort le 23 avril après plusieurs jours de disparition dans les locaux du MDS à Oran, prend de l’ampleur. Le silence des pouvoirs publics a alimenté la circulation d’informations non vérifiées et contradictoires et de toutes sortes de rumeurs.

C’est dans ce contexte que le rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à la liberté d’opinion et d’expression, Frank La Rue, a fait part, hier après-midi, de son «indignation et sa tristesse» devant ce qu’il n’hésite pas à qualifier de «meurtre». Dans un communiqué du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies diffusé hier sur le site de cette instance, le rapporteur onusien parle ainsi de «meurtre tragique et totalement inacceptable».«Selon les informations que j’ai reçues, M. Kerroumi aurait reçu plusieurs blessures à la tête, ce qui me porte à croire que cet acte est arbitraire», ajoute-t-il. S’appuyant toujours sur des informations qui lui sont parvenues d’Algérie, le rapporteur  évoque l’existence «d’un véhicule avec quatre hommes à son bord qui est resté devant le bureau de M. Kerroumi pendant quatre jours avant le meurtre.» «La voiture n’est plus réapparue depuis», relève-t-il.

L’expert de l’ONU invite le gouvernement algérien à mener «l’enquête la plus détaillée et indépendante qui soit sur ce meurtre tragique afin de traduire ses auteurs en justice». «Une telle action, continue-t-il, couplée à une condamnation publique de la part du gouvernement, est indispensable pour garantir que cet acte odieux n’aura pas d’effet dissuasif sur la liberté d’expression dans tout le pays», estime le rapporteur onusien.
Enfin M. La Rue conclut en déclarant vouloir suivre de près tous les développements relatifs à ce cas, «et cela y compris avec les autorités algériennes».
Pour rappel, lors de sa visite en Algérie du 10 au 17 avril dernier, à l’invitation du gouvernement, M. La Rue a eu à rencontrer le professeur Kerroumi, lors d’une réunion avec la société civile, le 15 avril à Oran.
La CNCD exige la vérité
Pour sa part, la CNCD-Oran a décidé de sortir de sa réserve. Ceci d’autant que le regretté Pr Kerroumi était un membre actif de cette coordination. Animée par Fatma Boufenik, Kaddour Chouicha et Messaoud Babadji, une conférence de presse a été tenue hier sur le sujet. Pour M. Chouicha, le silence des autorités judiciaires donne la nette impression qu’«un scénario est en train de se concocter afin de préparer l’opinion publique». «Il s’agit là, continue-t-il, de l’assassinat d’un militant politique, dans un contexte politique assez particulier.» Il a ensuite rappelé que «tout juste après la découverte du corps de l’enseignant universitaire, la Coordination a publié un communiqué où elle invite le procureur général à animer une conférence de presse pour rassurer l’opinion sur la volonté de la justice à élucider l’affaire et ainsi éviter que l’on sombre dans la rumeur. Usant d’ironie, il s’est demandé ensuite comment se faisait-il que des informations lourdes, celles qui ont été relayées après la découverte du corps, ont pu circuler dans certains journaux. On a l’impression que le journaliste pouvait communiquer facilement avec la police, que la police, ainsi que les médecins légistes, peuvent parler en toute liberté et que tout allait bien dans le meilleur des mondes !» Pour lui, cette «mise en scène» relayée par une «certaine presse» est tout simplement «rocambolesque».
Il faut savoir en effet que toutes sortes d’informations ont circulé ces derniers temps et privilégient généralement la thèse du crime crapuleux.
Marche du 30 avril
Dans un autre registre, les conférenciers ont annoncé la tenue, samedi prochain, d’une marche silencieuse à Oran, à la mémoire d’Ahmed Kerroumi. Cette marche ira de la place Kahina (ex-Cathédrale) à la place du 1er Novembre (ex-place d’Armes), en passant par le boulevard Emir Abdelkader. La manifestation n’a pas obtenu d’autorisation, nous a précisé Fatma Boufenik. L’administration de wilaya n’a pas cru bon de remettre à ses interlocuteurs une réponse manuscrite. «La wilaya est hors la loi, déclare Messaoud Babadji. La loi stipule que l’administration est tenue de répondre par un écrit motivé à tout refus !» Or, selon lui, cette façon de refuser de répondre par écrit est une tactique afin «de nous empêcher de les mettre devant le fait accompli ou d’ester en justice l’institution».

Akram El Kébir


Lu pour vous dans EL WATAN

le 28.04.11

Ali Yahia Abdennour

«Je n’ai pas demandé à l’armée de déposer Bouteflika»

Dans la polémique, il faut toujours être maître de sa pensée et de sa plume, écarter l’ankylose intellectuelle et le dogmatisme, mettre plus de bonne volonté à comprendre son adversaire, conserver intacte l’ardeur combative pour le changement du système politique et dire quelques mots sur le pouvoir qui développe tous les abus dont le peuple souffre.

La critique doit faire honneur à l’objectivité. L’élite intellectuelle du pays n’a aucun intérêt au changement et veut maintenir le statu  quo. Chacun lit entre les lignes, et n’y lit que ce qui lui convient. Il ne faut pas tordre les faits et occulter la réalité. Un journaliste m’a posé la question de savoir qui a amené Bouteflika au pouvoir ? C’est l’armée lui ai-je répondu qui doit prendre ses responsabilités. Je n’ai pas employé le mot de putsch et je n’ai pas demandé à l’armée de déposer Bouteflika par un coup d’Etat, ou de rejoindre l’opposition ou de dicter sa décision aux institutions de l’état chargées d’appliquer l’article 88 de la Constitution, mais de les libérer de la peur qui les écrase pour appliquer la loi, seulement la loi, toute la loi. La voix des consciences libres certaine de bien traduire la pensée des républicains s’élève pour flétrir ma réponse au journaliste. Toutes les voix ont le droit de se faire entendre, mais il ne faut pas ajouter à l’erreur d’analyse la contre-vérité.
Comment parler des choses simplement sans simplifier ?
Maître Mokrane Aït Larbi se demande pourquoi j’ai attendu aujourd’hui pour demander l’application de l’article 88 et appeler à la destitution du président Bouteflika ? Dans ce milieu semé d’embûches, de pièges, d’interrogations, il ne faut pas s’oublier et se perdre, et considérer qu’entre sa profession de foi et les réalités de la vie, il y a un fossé voire un abîme.
Dans son discours à la nation, le président a donné l’image pathétique d’un homme affaibli, usé, épuisé par la maladie. L’émotion vive et largement partagé par les Algériens et les Algériennes est qu’il faut libérer le président de la fonction qu’il ne peut plus assurer. Le président est-il prêt à céder sa place ? Fidel Castro qui ne peut rien contre la biologie a renoncé à exercer le pouvoir parce qu’il n’en a pas les moyens physiques. «Je trahirais ma conscience si j’occupais une responsabilité qui requiert mobilité et dévouement total, ce que je ne suis pas physiquement en condition de fournir. Je le dis sans dramatiser.»

Ma peur mais aussi ma colère est de voir le sang de la jeunesse couler, car le président qui ne veut pas quitter le pouvoir est prêt à sacrifier le pays pour lui. Le professeur Madjid Bencheikh, qui s’est exilé depuis plus d’une décennie, et qui vient de temps en temps nous rendre visite pour s’apitoyer sur notre sort, déclare «qu’il n’est pas admissible d’appeler une nouvelle fois l’armée à la rescousse». Il déplore l’absence d’un bulletin de santé actualisé du président. Trois institutions ont le droit d’agir dans l’application de l’article 88.
Le ministère de la Santé peut désigner 5 à 7 professeurs de médecine pour faire un rapport de santé sur l’état de santé du président. Peut-on penser que dans l’état de dictature que traverse le pays, la réponse peut être autre que «état de santé satisfaisant», le Conseil constitutionnel, qui a validé toutes les élections entachées de fraudes électorales massives, peut-il proposer au Parlement de déclarer l’état d’empêchement ?
L’immobilisme politique permettra au président de rester au pouvoir jusqu’à 2014. Au journaliste Hakim Lalam je dirai : j’aime la caricature et les caricaturistes parce qu’ils incarnent la liberté, même quand je suis la cible, parce qu’il faut accélérer la prise de conscience, fût-ce au prix de l’excès et même de l’injustice. Mais faire un raccourci, un court-circuit, ce n’est pas une caricature, c’est une calomnie, ce n’est pas une injustice, c’est une insulte et je la rejette.
Le journaliste Kharroubi Habib du Quotidien d’Oran écrit : «Ali Yahia a-t-il agi en pleine conscience du rôle qu’on a voulu lui faire jouer.» Il faut avoir le courage et la volonté de faire face aux errements d’une dictature qui infantilise les Algériens et les Algériennes et atomise la société. Il faut insuffler un peu d’air frais dans une société habituée à étouffer sous le culte de la personnalité du chef. Le ministre de l’Intérieur parle de ne reconnaître aucun parti avant la révision de la loi sur les partis politiques. Il devrait veiller à l’application des lois qui existent. Les partis politiques représentent le pluralisme et concourent à son expression.
Monsieur Kharroubi Habib, il ne faut pas avoir le mépris de toute référence aux faits de l’histoire politique et intellectuelle, qu’il faut pourtant bien connaître si l’on veut discuter du problème de la maladie du président, de son éventuel départ qui constitue un facteur important dans l’environnement politique et social, dans le débat public pour la fin de la dictature et la liberté.
Dans cette fantastique inversion des faits, seuls comptent la représentation, le déguisement, l’illusion, la conduite rationnelle éclairée, pondérée, modérée, d’une action politique, ne peut qu’entrer en conflit avec cette agitation fantastique et bouillonne. Agitation qui a pour cause, je le rappelle, la perte de contact délibérée d’une partie de nos élites, avec les plus élémentaires principes de la réalité. Je n’aime pas parler de ma personne mais quand vous dites : «Ali Yahia a-t-il agi en pleine conscience du rôle qu’on a voulu  lui faire jouer.» Je vous dis : les droits de l’homme sont inscrits génétiquement et politiquement chez moi. Ils sont présents dans mon esprit et dans mon cœur, et représentent ma seule démarche. Pour s’élever dans les affaires humaines, il faut de l’esprit et du cœur.  Dire la vérité avec force, avec constance, avec confiance, froisse les sentiments de certains.
L’impertinence, cette forme douce de rébellion, pour peu qu’elle serve une cause généreuse, ouvre un champ d’écoute populaire autrement plus efficace que les relais habituels.
Monsieur Kharroubi, tout est transparent dans mon comportement et personne n’a la possibilité de me dicter ma conduite.
Le rôle de l’armée dans les pays de dictature évolue. En Tunisie, le général Rachid Ameur, conseillé par l’ambassadeur des Etats-Unis, a refusé d’obéir à l’ordre qui lui a été donné par le président Ben Ali de tirer sur les manifestants. Il en est de même en Egypte.
L’armée algérienne suscite des interrogations, auxquelles elle doit répondre. Elle est le haut lieu de la concertation, de la vie politique où s’affrontent les enjeux idéologiques et les conflits d’intérêt, entre les clans du pouvoir.
Les signaux captés et décodés par la presse informent chaque président de la République que les décideurs de l’armée détiennent la réalité du pouvoir, qu’ils auront toujours le dernier mot, et qu’il ne lui reste plus, selon la formule consacrée, qu’à se soumettre ou se démettre.
La marche des présidents vers et sur les sommets et leur prestige ne dure pas et la descente peut être douce ou brutale.
Cette époque est révolue. De nouveaux cadres supérieurs, politisés, reflet des divers courants d’opinion qui traversent la société, d’un niveau intellectuel et militaire élevé, légalistes, sans arrière-pensées  de putsch, las des privilèges qui accentuent les injustices et éloignent le peuple de l’armée, se veulent l’émergence d’un pouvoir qui se manifeste de bas en haut de manière démocratique  et désirent servir l’Algérie entière, nation, peuple et Etat.
Les officiers des nouvelles promotions souhaitent que l’armée se prépare à se retirer de la vie politique, à se moderniser pour mener à bien ses fonctions de défense de la patrie. L’armée ne portera jamais l’infâme responsabilité de tirer sur la foule. Il ne faut pas que la pensée de ceux qui s’interrogent sur ma demande soit la pensée vide du vide. Il ne faut ni déformer le langage ni le sens de mots.
La responsabilité de l’armée dans le problème sérieux et grave de l’application de l’article 88 de la Constitution est qu’elle est la seule force capable de contrebalancer celle du président de la République, capable de libérer la commission des médecins, le Conseil constitutionnel et le Parlement qui délibéreront alors en toute liberté pour la destitution de Bouteflika.

Ali Yahia Abdennour. Alger, le 27 avril 2011


Lu pour vous dans EL WATAN

le 27.04.11

Unification des actions estudiantines

Réunion de concertation aujourd’hui à l’université de Bouzaréah

Une réunion de concertation entre les étudiants des facultés des sciences médicales et les comités autonomes des universités d’Alger est prévue aujourd’hui au campus de Bouzaréah.

Après plusieurs actions menées séparément, les étudiants d’Alger se sont rendus  à l’évidence. Ils veulent relancer le mouvement de protestation avec une action commune réfléchie collectivement qui pourrait avoir l’écho escompté.
«Cette rencontre est l’une de nos actions visant à radicaliser notre mouvement de protestation», a déclaré un délégué de la Coordination nationale des étudiants en pharmacie (CNEP). D’après lui, cette réunion de concertation, qui fonctionnera de manière horizontale, vise à paralyser l’université d’Alger pour exiger la prise en charge effective des différentes revendications des étudiants en dépit de leur spécialité.
Pour sa part, Farid Lhadj Mohand, membre de la Coordination des comités d’Alger, considère cette réunion comme étant un aboutissement des nombreux contacts entre les comités autonomes des étudiants : «Cette action vise à fédérer la force des étudiants.» Une autre action concerne la concertation entre les coordinations autonomes des facultés des sciences médicales. «La conférence nationale des facultés des sciences médicales n’a apporté jusque-là que des recommandations», a estimé un délégué de la Coordination nationale des étudiants en pharmacie (CNEP).
Sur le terrain, l’union est déjà concrétisée. Hier encore, les étudiants en pharmacie, en chirurgie dentaire et les médecins internes se sont rassemblés devant le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique pour exiger des réponses concrètes. «Le document remis aux délégués ayant participé à la conférence nationale ne porte aucun cachet. On demande à ce qu’il y ait des décisions et un échéancier pour leur application», exigent les étudiants. De plus, «le point portant sur la reclassification des étudiants a été supprimé à la dernière minute», relève un étudiant en pharmacie.

Son camarade s’interroge sur la possibilité d’assurer la production des médicaments en Algérie, objectif tracé par la tutelle. «Le ministre de la Santé a déclaré que d’ici 2014, la production des médicaments sera assurée à 70% en Algérie. Je me demande comment peut-on concrétiser ces projets alors que la spécialité pharmacie industrielle n’existe pas en Algérie», s’est-il interrogé, rappelant que les stages d’internat des étudiants en pharmacie se font actuellement au niveau des hôpitaux.

Djedjiga Rahmani


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le 25.04.11

Madjid Bencheikh plaide pour la réforme des méthodes de gouvernance

«L’Algérie instrumentalise la souveraineté pour opprimer les libertés»

Souveraineté des Etats et universalité des droits de l’homme. La problématique est souvent sujet à polémique. Les deux principes sont manipulés et instrumentalisés, à tort, par les Etats pour défendre leurs propres intérêts.

«Et parfois pour défendre l’intérêt d’un seul groupe», affirme le professeur et ancien doyen de la faculté de droit d’Alger, Madjid Bencheikh, lors d’une conférence organisée, hier à Alger, par Amnesty International-section Algérie. C’est le cas en Algérie où le pouvoir, explique le professeur, invoque la souveraineté pour violer les libertés. «En Algérie, on met en avant le principe de la souveraineté de l’Etat pour opprimer les libertés individuelles et collectives», lance-t-il, en citant l’exemple des restrictions sur les manifestations publiques ainsi que l’interdiction de la création de nouveaux partis et des syndicats. Selon lui, cette interprétation du principe de la souveraineté «est erronée et contraire au droit international».

«La souveraineté des Etats doit être exercée pour la protection des droits des populations. Les peuples doivent jouir de tous leurs droits reconnus par la charte des droits de l’homme et exercer toutes leurs libertés individuelles et collectives», explique-t-il. Dans ce sens, Madjid Bencheikh estime que l’interpellation d’un pays violeur des droits de l’homme par la communauté internationale ou par un autre pays étrangers «ne constitue pas une ingérence». «La charte des Nations unies et les pactes internationaux consacrent le respect des droits de l’homme qui ont un caractère universel. Tous les pays ont ratifié ces textes internationaux et ils doivent les respecter. Donc, si un pays ne respecte pas les droits de l’homme, les autres ont le droit de l’interpeller pour lui rappeler le devoir de respecter ses engagements internationaux», souligne-t-il. S’exprimant sur les «réformes politiques annoncées par le président Bouteflika», le professeur précise que celles-ci doivent consacrer en Algérie une réelle séparation des pouvoirs où la justice jouirait d’une véritable indépendance.

«Les réformes politiques doivent être précédées par la levée de tous les obstacles pour permettre l’organisation d’élections libres et transparentes», insiste-t-il. Et d’ajouter : «Cela doit inévitablement conduire à l’assainissement de la vie politique dans le pays et permettre une meilleure ouverture du gouvernement sur la société, sans laquelle rien ne pourra se décider». Selon Madjid Bencheikh, qui est aussi spécialiste du droit constitutionnel, le changement en Algérie doit émaner de toutes les forces de la société. «Au lieu de la révision de la Constitution, il faut plutôt une réforme de toutes les méthodes de gouvernance», déclare-t-il. Evoquant la situation internationale, le conférencier relève aussi des cas d’instrumentalisation des principes de la souveraineté et de l’universalité des droits de l’homme. Ainsi pour le cas de la Libye, l’orateur indique que le recours à la force étrangère dans ce pays «doit être conforme à la résolution  du Conseil de sécurité de l’ONU». Pour lui, tout recours à une intervention terrestre «serait contraire au droit international». «Il n’y a aucune règle de droit international qui permet à un Etat, même en cas de violation des droits de l’homme, d’intervenir sur la base de sa propre décision ou au nom du droit à l’ingérence», ajoute-t-il.

Madjid Makhedi



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Le 22 /04/2011

Alger : la marche des familles des disparus réprimée

Quelques jours après le départ du rapporteur des Nation unies d’Algérie, où il a dressé un tableau accablant quant aux libertés publiques et d’opinion, les autorités algériennes viennent, une fois encore, confirmer la répression dont fait l’objet la population.

Les victimes d’hier ne sont  autres que les familles des disparus venues des quatre coins du pays. 10h30 : une cinquantaine d’hommes et de femmes, en particulier des personnes âgées, ont bravé l’interdit en arpentant la Grande Poste, au centre d’Alger, pour se diriger vers l’Assemblée populaire nationale (APN). Les proches des victimes des disparitions forcées des années 1990, dont la plupart est âgée de plus de 60 ans, ont été accueillis, en face du parc Sofia, par un dispositif sécuritaire impressionnant, les empêchant de continuer leur marche pacifique. Les forces de l’ordre ont encerclé les manifestants et les ont maintenus en dépit des supplications de quelques vieilles dames de dégager la voie. «

Soudjoune serriya fi biled el hourya» (prisons secrètes au pays de la liberté) ou «Ya raïs Bouteflika, alach khayef mel hakika ?» (Bouteflika, pourquoi as-tu peur de la vérité ?) : des slogans qui ont été criés par les mères, les pères et enfants des disparus. Nasséra Dutour, porte-parole du Collectif des familles des disparus en Algérie (CFDA), ainsi que d’autres membres du collectif n’ont pas été épargnés par la violence des policiers qui ont, «par galanterie», confié la mission de bousculer les vieilles femmes à des policières. Des échauffourées ont éclaté entre les éléments de la police et toute personne tentant de franchir le cordon policier. «Même si nous ne sommes pas arrivés jusqu’à l’APN, je suis satisfaite de cette marche tenue par des familles qui ne sont pas prêtes à abandonner leur combat pour la vérité et la justice», se félicite Nasséra Dutour. D’autres organisations se sont jointes à la marche à l’instar du Syndicat national autonome des personnels de l’administration publique (Snapap) et la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (LADDH). A 12h30, quelques protestataires commencent à quitter les lieux, d’autres convergent vers la placette de la Grande poste, en promettant de revenir à la charge dans les jours à venir

Lamia Tagzout


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Le 22 /04/2011

Frank La Rue : Les réformes en Algérie ne sont pas seulement nécessaires, mais inévitables

Frank La Rue, rapporteur spécial de l’ONU sur la promotion et la protection du droit à la liberté de l’opinion et de l’expression, a séjourné en Algérie du 11 au 18 avril, à l’invitation du gouvernement algérien.

Durant son séjour, il a rencontré plusieurs responsables, dont les ministres des Affaires étrangères,  de la Communication et Poste et TIC, des représentants du Conseil de la nation et de l’APN, le président de la Commission nationale de la promotion des droits de l’homme, des dirigeants de l’Agence nationale d’édition et de publicité (ANEP) et de l’Autorité de régulation de la poste et de télécommunications (ARPT) ainsi que des animateurs de la société civile et des journalistes.

Le 17 avril, Frank La Rue a rendu public, lors d’une conférence de presse au siège du PNUD à Alger, un premier rapport sur sa mission à Alger. Ses conclusions critiques ont été largement censurées par les médias dits publics et par une partie de la presse écrite.

–         Vos déclarations et vos recommandations faites lors de la conférence de presse que vous avez  animée à Alger le 17 avril ont été largement censurées par les médias publics (radios, télévision et agence de presse). Comment expliquez-vous ce comportement ? Est-ce le signe d’un pays qui aspire à l’ouverture ?


Si cela était censuré, ce dont je suis incapable de confirmer, ce serait un mauvais signe. Il y a aussi la peur chez les gens qui sont dans les médias publics d’engager des réformes du système et permettre davantage d’ouverture.
Vous avez préconisé la dépénalisation de la diffamation. Quel est le meilleur moyen pour y arriver ?
Ce que j’ai recommandé au monde est le suivant : le Parlement doit promulguer une loi pour faire sortir la diffamation du code pénal et la transférer en une action civile.
Quelles ont été les réponses des autorités algériennes sur le refus d’ouvrir le champ audiovisuel à l’initiative privée en Algérie ? Et comment faire pour que les médias publics soient indépendants du pouvoir politique dans le pays ?
Les hauts responsables que j’ai pu rencontrer n’ont pas rejeté ma proposition. Ils ont seulement dit qu’ils vont l’étudier. Selon eux, cela fera partie d’un package de réformes qu’aura à annoncer le président. Ils ont aussi dit que cette ouverture est inévitable.
Selon ce qui vous a été dit à Alger, pensez-vous que toutes les opinions s’expriment librement en Algérie ?

Je pense que l’Algérie a fait un long chemin, spécialement en matière de presse écrite, mais il y a encore du chemin à faire pour ce qui est de l’audiovisuel.

Ne trouvez-vous pas contradictoire que les autorités algériennes lèvent l’état d’urgence et maintiennent les interdictions des marches à Alger et dans les autres villes ?
Oui, c’est contradictoire. Mais je pense que les autorités sont conscientes de cette situation. Mon impression est qu’il faut continuer les réformes en matière législative pour le futur.

Pourquoi avez-vous recommandé de ne pas utiliser les visas et les accréditations pour limiter la liberté des journalistes de couvrir tous les sujets ?

Parce que je crois que les visas relèvent d’une procédure administrative seulement basée sur le principe de l’égalité pour tous. Les journalistes doivent bénéficier de facilités pour les visas. Pour les accréditations, je crois que cela doit se faire sur une base volontaire, à la demande des journalistes.

Pensez-vous que les autorités manipulent l’octroi de la publicité de l’ANEP pour acheter la docilité des journaux et menacer ceux qui osent critiquer le pouvoir politique ?
La manière avec laquelle l’ANEP (Agence nationale d’édition et de publicité, organisme étatique) fonctionne actuellement et l’opacité dans laquelle la publicité publique est accordée ont généré un système d’abus pénalisant les voix les plus critiques parmi la presse.
Comment sera-t-il possible de permettre au groupe de travail sur les disparitions forcées de l’ONU de venir en Algérie puisque vous avez souhaité cette venue autant que celle du rapporteur sur la liberté d’association ?

Je crois que le gouvernement a exprimé son désir de s’ouvrir sur les procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme (de l’ONU, ndlr). Aussi, ai-je été informé qu’il va inviter le groupe de travail sur les disparitions forcées et involontaires à visiter le pays.

Vous avez déclaré que «le gouvernement algérien envisage d’engager davantage  de réformes politiques». Que vous a-t-on dit à ce propos lors de votre visite à Alger ?

J’ai dit que le Président et les officiels de haut niveau ont compris que les temps ont changé et compris les demandes et les désirs des jeunes. Ils ont compris que les réformes ne sont pas seulement nécessaires, mais inévitables.
Vous avez remarqué que la réconciliation ne peut pas être achevée en imposant le silence. Qu’est-ce qui a motivé cette observation?
Ma propre expérience dans mon pays m’a montré que dans chaque période tragique de violence, il y a ce besoin de faire la paix. Boutros Ghali (ancien secrétaire général de l’ONU) a dit : «Il y a une différence entre faire la paix et construire la paix.» Faire la paix est liée aux négociations relatives à la transition durant laquelle la construction de la paix se fera, cela signifie une réconciliation nécessaire devant permettre à la société de retrouver une vie normale. Dans ce processus, la vérité et la justice sont fondamentales.

Biographie :

Frank William La Rue est originaire du Guatemala. Il est connu depuis 25 ans comme militant convaincu des droits humains dans son pays. A Guatemala City, il a été le fondateur du Centre pour l’action légale pour les droits de l’homme (CALDH). En 2004, la militante pacifiste irlandaise Mairead Corrigan Maguire a proposé Frank William La Rue pour l’obtention du prix Nobel de la paix. Prix non obtenu.

Frank William La Rue est rapporteur spécial de l’ONU sur la promotion et la protection du droit à la liberté de l’opinion et de l’expression depuis août 2008. Son mandat lui permet de collecter des informations, mener des enquêtes et faire des recherches sur toutes les atteintes et violations aux droits à la liberté d’expression et d’opinion à travers le monde. Il doit soumettre ses constats et conclusions au Haut-Conseil des droits de l’homme de l’ ONU, dont le siège est à Genève en Suisse. Il peut demander au Conseil de faire des appels ou des communiqués urgents en cas de danger. Il remet chaque année un rapport. Et pour chaque pays visité, il prépare un rapport spécial pour le Conseil qui sera débattu lors de l’assemblée annuelle.

Principales conclusions de Frank La Rue sur l’Algérie

– La diffamation doit être dépénalisée
– Les intimidations contre les journalistes qui enquêtent sur les affaires de corruption doivent cesser
– Les médias publics doivent être indépendants du gouvernement et de toutes les parties au pouvoir.
–  Mettre en place une autorité indépendante pour réguler l’action des médias publics
– L’accès de l’opposition et des ONG aux médias lourds est insuffisamment assuré
– Ouvrir le champ audiovisuel à l’initiative privée
– Les visas et les accréditations ne doivent pas être utilisés  «comme une menace ou une limite à la liberté du journaliste de couvrir tous les sujets»
–  Rendre plus facile l’accès aux sources d’information, notamment auprès d’institutions de l’Etat
– Les règles d’éthique et de déontologie doivent être établies par les professionnels des médias, pas par les autorités
– Ne pas soumettre la création d’un journal à une autorisation
– Ne pas utiliser la publicité institutionnelle distribuée par l’ANEP comme moyen de pression et de sanction sur les journaux qui critiquent l’action du gouvernement
– L’accès à internet ne doit souffrir aucune restriction
– La circulation des livres doit être libre et sans censure du ministère de la Culture
– Considérer le droit aux rassemblements pacifiques comme une partie du droit à la liberté d’opinion et d’expression
– Ne plus utiliser la force contre des manifestants pacifiques
– Reconnaître aux familles de disparus le droit  de s’exprimer publiquement
– Amender la loi 91-19 qui exige une demande d’autorisation préalable avant tout rassemblement et introduire le régime déclaratif.
– Garantir le droit d’association en rendant plus facile la procédure de création d’organisations non gouvernementales (ONG)
– La réconciliation nationale ne peut être réalisée en imposant le silence
– La paix doit être basée sur le droit à la vérité et le droit pour les victimes d’avoir accès à la justice.

Fayçal Métaoui

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