Algérie, une seconde révolution? (14)

23 mars 2011

Lu pour vous dans EL Watan


le 02.04.11

Il nie la crise politique et s’oppose au changement

Ouyahia, un soldat qui veut sauver le système

C’est un Premier ministre arrogant et méprisant qui s’est présenté aux Algériens, mercredi dernier, à la télévision.

L’homme, qu’on appelle sans que ça l’offusque «l’exécutant des sales besognes», a lâché que l’Algérie ne connaîtra pas «de changement politique car elle ne souffre pas de crise politique».
Terré dans un silence plusieurs mois durant, Ahmed Ouyahia choisit de sortir de son mutisme par la porte de l’intolérable fuite en avant et de l’invective. Ce n’est assurément pas le ton que les Algériens, pris dans l’étau d’un mal-être et d’un mal vivre, souhaitaient entendre.
Alors que les appels pour un changement radical du système se suivent et se multiplient depuis trois mois, le Premier ministre, adossé à son indéfectible et confortable allégeance au pouvoir, répond d’un insultant «niet» et affirme que le système continuera à vivre avec ses travers et sa logique pourtant décriés : «Chez nous, le changement est intervenu en 1989. Il y a plus de 30 partis politiques, une centaine de titres de presse, nous n’avons pas d’opposants politiques en prison ni d’exilés politiques. Le développement économique profite à toutes les régions du pays, même Bordj Badji Mokhtar est devenue une petite ville.» Telle est la teneur que prend le discours du Premier ministre, caché sous la casquette de secrétaire général du RND, et qui parle de l’Algérie comme d’un bien dont le sort est scellé et décidé.

Il assène au peuple algérien le verdict de ne plus prétendre au changement, de ne plus entrevoir l’ombre d’une issue autre que celle concoctée dans des officines et laboratoires aux concepteurs inconnus. Une telle déclaration ne peut que traduire la nature autoritaire et sectaire du régime. Un régime qui ne s’encombre plus de façades et qui refuse même au peuple l’expression de la volonté du changement.Un régime qui présente le nombre de partis politiques et de journaux comme gage de démocratie et qui bastonne à longueur de mois et d’années tout citoyen réclamant ne serait-ce que de l’écoute. Se plaçant en tuteur ou en voix des maîtres d’Alger et empruntant un ton moqueur et populiste, Ouyahia indique que «ce n’est pas avec des initiatives que le changement se fera en Algérie».
Une manière de traduire que le système ne répondra jamais à la voie pacifique et que le seul rapport de forces qu’il reconnaisse est celui de la violence.

La preuve : il n’hésite pas à donner des logements là où les populations recourent à l’émeute, à injecter des fonds à n’en plus finir dans des dispositifs de création d’entreprises juste pour calmer le volcan nommé jeunesse. Ouyahia lance, sans un battement de cils, que l’Algérie est parcourue par une série de crises sociales qui n’ont aucune dimension politique.
Lui, chef d’une équipe gouvernementale dont la réputation est traînée comme un chiffon dans les rues de la capitale, ne voit pas dans le rôle politique qu’il occupe un effet sur la situation sociale que vit le pays. Et de ce fait, se prémunit de tout risque d’être poussé vers la porte. Il nie une évidence qui est que le système politique algérien est fermé et entre les mains d’une poignée de personnes qui façonne le jeu politique à sa guise en cultivant l’exclusion.

Ouyahia confirme la crainte d’une constituante

Alors que le pays, de l’avis des observateurs étrangers et nationaux, est à la dérive, il dit qu’«il n’y a pas de crise politique majeure en Algérie nécessitant la dissolution du Parlement ou le départ du gouvernement». La Constituante, revendication majeure de l’opposition, n’est pas à appliquer en Algérie, affirme aussi le Premier ministre. Il est vrai que l’application d’une telle option pour l’Algérie reviendrait à l’éliminer politiquement et à balayer tout le système. Ouyahia ne cache pas une telle crainte puisqu’il dit que «la Constituante est le reniement de tout ce qui a été fait depuis l’indépendance».
Et de continuer en hissant le traditionnel et peu convaincant épouvantail islamiste : «La Constituante, c’est remettre tout à plat. Après, va-t-on s’entendre sur quel type d’Etat choisir ? Islamique, laïc ou républicain ?», dit-il. Et d’ajouter, comme pour asséner le coup de grâce aux vœux des Algériens, d’en finir avec le mal et, pour donner au système une prétention à continuer de vivre longtemps : «Un système parlementaire ne peut être viable en Algérie que dans 50 ans.»

Quelle marque de mépris que celle affichée par le Premier ministre face au peuple ! Qui a donc mandaté M. Ouyahia pour parler au nom des Algériens ? Pourquoi se place-t-il en porte-voix du peuple et fait à sa place le choix de sa destinée, si ce n’est de l’usurpation pure et simple de son droit à l’autodétermination. Nier la dimension politique de la crise en Algérie revient à nier la prétention à trouver de vraies solutions et donc plonger le pays dans un cycle d’incertitudes. Avant lui, Ben Ali, Moubarak et El Gueddafi avaient nié la dimension politique des crises que leurs pays ont traversées. L’histoire retiendra leur fin désastreuse et ne gardera de leur passage qu’un mauvais souvenir. En «Ankaoui» qu’il se dit, Ouyahia doit comprendre ces vers de Sobhan Allah Ya Ltif qu’on peut mettre dans la bouche de l’Algérie : «Mes os ne sont pas à ronger ! Je ne suis pas stérile ; ma terre n’est pas desséchée.»

Nadjia Bouaricha

Lu pour vous dans EL WATAN

le 30.03.11

Conférence au centre de recherche stratégique et sécuritaire

La société civile en Algérie, un alibi au service du pouvoir ?

De la conférence organisée par le CRSS, il ressort que la société civile autant que les associations en Algérie ne sont pas perçues autrement que comme des alibis au service du pouvoir.


La société civile en Algérie : réalités et perspectives» est le thème d’une conférence-débat animée, hier, par le sociologue Aïssa Belakhdar au siège du Centre de recherche stratégique et sécuritaire (CRSS). Au cours de son exposé, M. Belakhdar a entrepris, dans un premier temps, de faire le point sur l’importance et le rôle de la société civile dans les sociétés occidentales avant de zoomer sur la réalité algérienne.
Tout en faisant remarquer que les organisations sociales traditionnelles (la djamaâ, les archs, la tribu et les zaouïas) ont joué un grand rôle dans la préservation et la sauvegarde de l’identité et des valeurs du peuple algérien durant des siècles, Aïssa Belakhdar – qui est connu pour être l’un des principaux animateurs de la Ligue des associations de la société civile – a soutenu, toutefois, la nécessité de retenir les leçons des années 1990, période durant laquelle le pays était attaqué de toutes parts sans qu’il ait eu les moyens de riposter. «Les attaques des années 1990 nous imposent d’avoir une société civile forte. C’est une question de sécurité nationale», a-t-il fait remarquer. Fort de ce constat, le conférencier n’a d’ailleurs pas manqué d’inviter l’assistance à méditer les exemples des Etats-Unis, d’Israël ou de la Grande-Bretagne en la matière.
Le rôle des associations autonomes
Au cours des débats, Ahmed Adimi, docteur d’Etat en sciences politiques et professeur à l’université d’Alger, a entrepris d’emblée de recentrer la discussion en proposant de faire le distinguo entre société civile et associations. Ahmed Adimi n’a ainsi pas hésité à soutenir l’idée que si l’on peut concéder le fait qu’il existe des associations, il n’est pas par contre erroné de penser qu’il existe une société civile en Algérie. «Il faut dire les choses comme elles sont. Le contexte actuel ne se prête pas du tout à l’émergence d’une société civile», a-t-il martelé. L’intervenant a expliqué notamment qu’«il n’existe pas de règles claires en Algérie pour fonder une association. De mon point de vue, sur les 84 000 associations qui existent, seules 4 ou 5 remplissent vraiment leur rôle», a-t-il soutenu avant de dénoncer une instrumentalisation à des fins politiques des structures existantes. En guise d’exemple, M. Adimi a rappelé le nombre incalculable d’associations qui se sont précipitées pour soutenir le programme du président de la République alors que normalement, les lois leur interdisent de prendre position dans un débat politique.
Cela lui fera d’ailleurs dire qu’il n’y a pas d’associations autonomes en Algérie.
En parallèle, a-t-il, poursuivi, «on refuse à des enseignants universitaires et à des chercheurs de créer une petite association». Ce n’est pas tout. Il a également fortement fustigé l’initiative qui a consisté à remettre au devant de la scène les zaouïas. «Un Etat moderne ne se construit pas sur des structures traditionnelles. Un jour, nous payerons cher cette façon de faire», a assuré Ahmed Adimi qui a, en outre, attiré l’attention sur les dangers qu’il y a de laisser la société s’emprisonner dans le cercle vicieux représenté par le couple «casse- répression» et de ne lui fournir aucune possibilité de s’organiser et de s’exprimer pacifiquement. De la conférence organisée par le CRSS, dirigée par le professeur M’hand Berkouk, il ressort que la société civile autant que les associations en Algérie ne sont pas perçues autrement que comme des alibis au service du pouvoir. Tout en partageant entièrement l’analyse faite de la situation par M. Adimi, les autres intervenants ont, quant à eux, plaidé en faveur de la promotion de la citoyenneté. Une notion qui, ont-ils dit, n’a pas encore pu se frayer un chemin en Algérie.

Zine Cherfaoui


Lu pour vous dans EL Watan

le 23.03.11

L’absence d’interlocuteur pèse sur la crise sociale

L’Etat tourne le dos aux protestataires

La contestation sociale, qui persiste depuis des semaines, s’amplifie. La grogne n’épargne pratiquement aucun secteur d’activité ni segment de la société. Les étudiants, qui s’inscrivent dans la protestation depuis le mois de janvier, ne lâchent pas du lest.


Après avoir arraché l’abrogation du décret controversé du 13 décembre 2010, ils exigent carrément la démocratisation de l’université à travers l’élection des responsables à tous les niveaux hiérarchiques. Une revendication jamais exprimée auparavant. Les enseignants contractuels de l’éducation sont, depuis une semaine, mobilisés devant la présidence de la République exigeant, de leur côté, la régularisation leur situation professionnelle et que soit mis fin à leur statut précaire. En vain. Au lieu d’être reçus, ils ont été plutôt matraqués. Cela n’a pas entamé leur détermination à aller jusqu’au bout de leurs revendications. Campant devant le palais d’El Mouradia depuis trois jours, ces enseignants n’ont cédé ni à l’invective ni à l’intimidation des agents de la police.

Cependant, certains d’entre eux, les plus désespérés, ont fini par craquer. Deux ont même tenté, hier, de s’immoler par le feu. C’est dramatique. Mais cela n’a pas fait bouger nos dirigeants, qui s’enferment dans leurs bureaux sans se soucier des problèmes multiples dans lesquels patauge la société. Les médecins résidents sont à leur deuxième cycle de grève de trois jours qui prendra fin aujourd’hui. Mais les protestataires sont résolus à poursuivre la contestation et envisagent même d’aller vers une grève illimitée. Les chômeurs, constitués en collectif autonome, multiplient eux aussi les actions de protestation, demandant de l’emploi et de la considération. Les contractuels de l’armée sortent dans la rue pour réclamer leurs droits. Ils étaient des centaines à s’être rassemblés hier devant le ministère de la Défense nationale.

Ejectés des effectifs de l’ANP pour invalidité non imputable au service, ces anciens sous-officiers revendiquent une prise en charge médicale, une couverture sociale, des facilitations pour l’accès à l’emploi. Ils exigent également la revalorisation de leur pension «de la honte» qui est de l’ordre de 2800 DA. Les familles victimes du terrorisme sont également sorties dans la rue pour réclamer  réparation. Ils ont fait un rassemblement devant l’APN et envisagent de nouvelles actions de protestation. Les travailleurs des communes, quant à eux, observeront une grève en avril prochain. Les corps communaux aussi. Les patriotes ne sont pas en reste. Ils réclament eux aussi des réparation par rapport à tout ce qu’ils ont sacrifié durant la décennie noire en combattant le terrorisme.

Les agents de la Protection civile appellent à un sit-in demain à Alger. Les gardes communaux ne veulent pas lâcher du lest, après leur marche réussie au début du mois courant. Ces mouvements de contestation qui se multiplient reflètent le profond malaise qui ronge le pays et dément tous les rapports positifs sur la santé socioéconomique du pays. Ils sont la preuve de l’échec de toutes les politiques sectorielles employées ces douze dernières années. En dépit de cette révolte «sociale», le gouvernement reste les bras croisés.

Mokrane Ait Ouarabi

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