une lumière dans la nuit (7)

30 décembre 2012

Lu pour vous dans LIBéRATION du 28/12/2012

Cet article de Bernadette Sauvaget

Société

Un ticket pour la paix entre juifs et musulmans

27 décembre 2012 à 19:06 (Mis à jour: 28 décembre 2012 à 11:36)

L’imam Mohammed Azizi (G) et le rabbin Michel Serfaty (D), président de l’Amitié judéo-musulmane de France pendant une tournée à Sainte-Geneviève-des-Bois. (Photo Vincent Nguyen. Riva-Press)

 

Reportage : Le rabbin et l’imam qui sillonnent la France

en bus pour prôner le dialogue ont reçu en Essonne

comme ailleurs, un accueil agité.

Par BERNADETTE SAUVAGET

«Je vais dans les brasiers», aime à dire le rabbin Michel Serfaty. Les «brasiers» ? Pour lui, ce sont les quartiers sensibles des banlieues. La veille, le bus de son association, l’Amitié judéo-musulmane de France, s’était posé à Grigny (Essonne), à la Grande Borne, une des grandes cités du sud de la région parisienne (11 000 habitants et 3 600 logements). Comme d’autres fois, l’affaire a failli mal tourner. Au volant de sa voiture, proférant injures et menaces, un homme est venu leur crier de dégager. Mais pas de quoi démonter ni faire fuir Michel Serfaty ou l’imam Mohammed Azizi, aumônier régional des hôpitaux pour l’Ile-de-France qui, délégué par la Grande Mosquée de Paris, accompagne le rabbin dans son «road movie» de lutte contre l’antisémitisme.

Saumon-salade. En ce jour de novembre, le vieux bus poussif s’est arrêté à proximité d’une grande surface et d’un marché à Sainte-Geneviève-des-Bois, également en Essonne. Sur ses flancs, des inscriptions : «On se ressemble plus qu’il ne semble», «Juifs et musulmans, on préfère le mouton à la voiture bélier». Il y a aussi une jolie photo, les grands yeux d’une petite fille noire et un texte : «J’ai rêvé de Dieu, ELLE était noire.» C’est joli, poétique. Ou trop provoquant pour d’autres. «Une fois, un musulman est venu me dire que cette phrase était un blasphème», raconte l’imam Azizi. Fort de ses connaissances théologiques, il a désarmé son interlocuteur en lui expliquant que la petite fille de la photo, vu son âge (moins de 10 ans), n’avait pas acquis tout le discernement religieux et n’était donc pas «fautive». «M. Azizi désamorce très souvent la tension, raconte Colline, psychologue de l’équipe. Il inspire le respect comme imam, connaît les textes. Les jeunes l’écoutent.» Ce qui ne l’empêche pas de se faire interpeller. «Un jour, un jeune m’a demandé si j’avais une fatwa[l’autorisation d’une autorité religieuse, ndlr] pour être aux côtés d’un juif», explique Mohammed Azizi. En plaisantant, il lui a rétorqué qu’il en avait une de Youssef al-Qaradawi, l’un des théologiens les plus écoutés du monde arabe.

Par-dessus leur veste et leur doudoune, Michel Serfaty et Mohammed Azizi ont revêtu le tee-shirt de l’association. «On fait rire avec notre vieux bus et nos tee-shirts. C’est bien, cela détend l’atmosphère», poursuit le rabbin, linguiste de métier et ancien professeur d’université. A l’arrêt de bus, ils s’avancent l’un et l’autre pour entamer le dialogue, montrer qu’un juif et un musulman peuvent œuvrer en commun. Richard, l’animateur, et Colline, la psychologue, eux, vont vers les marchands ambulants qui commencent à replier leurs étales. Ils tendent à un jeune Noir un dépliant et le tract de l’association. «C’est nous qui sommes les victimes. Ce ne sont pas les juifs», rétorque le jeune vendeur en rendant les documents. A l’écart, il poursuit la discussion avec Richard. «Il m’a parlé des juifs qui, selon lui, dominent le monde», raconte celui-ci plus tard. A la pause, dans le bus, après avoir fait lui-même les courses au supermarché, Michel Serfaty prépare des sandwichs saumon-salade pour tout le monde. Discrètement, l’imam fait sa prière.

Révélateur. L’initiative de l’Amitié judéo-musulmane est née en 2004, après un coup de téléphone de Roger Cukierman, alors président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif). «Les actes antisémites étaient en train de grimper en flèche», explique Michel Serfaty, pour qui la lutte contre l’antisémitisme n’est pas affaire de colloques ou de salon, mais de contacts, là, au plus près du terrain. Depuis huit ans, la petite équipe entreprend, en mai et juin, un tour de France à travers une trentaine de villes, visite une soixantaine de quartiers, propose une mini exposition, organise rencontres et débats. Puis à l’automne, elle sillonne la banlieue parisienne.

Michel Serfaty prône une sorte de pédagogie de l’exemple, des binômes juifs et musulmans qui agissent ensemble, dans les maisons de quartier par exemple, pour montrer que le dialogue et la cohabitation sont possibles. «C’est mon quotidien», dit Michel Serfaty, à propos des insultes antisémites. Elles ne l’atteignent plus. «Cela m’a permis de me défaire de la langue de bois. Je n’ai plus de complexe à dire que, dans les brasiers, on institue la haine du juif», dit-il. Des exemples, il en a un paquet en mémoire. « »Je prie pour toi cinq fois par jour. Je prie pour que tu te convertisses, comme cela, je ne serai pas obligé de te tuer », c’est ce qu’est venu me dire un jeune à Saint-Denis», raconte encore le rabbin.

Une affiche de l’Amitié judéo-musulmane de France est placardée sur le bus de l’association (Photo Vincent Nguyen. Riva-Press).

L’après-midi, le bus s’installe devant la mosquée de Sainte-Geneviève-des-Bois. L’imam et le rabbin s’avancent vers deux jeunes salafistes. La conversation roule d’abord sur des questions théologiques puis sur l’affaire Merah. Le jeune salafiste essaie d’expliquer que le terroriste ne pouvait pas se revendiquer de l’islam. Michel Serfaty insiste pour savoir s’il condamne les actes ; son interlocuteur esquive. «Il y a encore beaucoup de travail à faire. Mais c’est déjà quelque chose qu’il accepte de discuter avec un juif», estime le rabbin. «Nous ne sommes pas là pour faire de la théologie mais pour montrer que nous pouvons vivre ensemble», précise, de son côté, l’imam Azizi.

En passant devant le bus, une femme s’arrête spontanément, demande à avoir de la documentation, notamment pour sa fille, devenue très pratiquante et qui porte le voile. «Les solutions, on peut les trouver, Mais il y a la politique», dit-elle. La «politique», c’est la façon pudique qu’ont les uns et les autres d’évoquer le conflit israélo-palestinien, à la source, selon l’imam, de la flambée de l’antisémitisme (lire ci-contre). Pour Michel Serfaty, le mal est plus profond, le conflit au Proche-Orient n’ayant été que le révélateur d’un antisémitisme très ancré. «Il y a une majorité silencieuse qui souhaite la paix», estime pourtant le rabbin.

BERNADETTE SAUVAGET

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