Algérie, une lumière dans la nuit…(2)

15 février 2012

Collège des Bernardins

10 février 2012

Démocratie, droits de l’homme (et donc de la femme) et religieux (ou une possible sécularisation du religieux) dans ce que l’on a trop vite appelé «Printemps arabes» et qui serait devenu «Hivers islamiques» tel était le sujet proposé à des politologues, des juristes, des sociologues ou des historiens des deux rives de la Méditerranée ce vendredi 10 février 2012 au collège des Bernardins.
Après un survol rapide des différents États – Tunisie, Égypte, Libye, Yémen, Syrie, mais aussi Algérie, Iran, Maroc ou Turquie – une première constatation : chaque pays est un cas particulier dont il faut reconnaître chaque fois la complexité. Et une seconde constatation en cette période de transition: tout ce que l’on peut dire c’est que l’on ne sait rien de certain. D’où l’inquiétude devant la progression des islamistes qui, par leur travail de proximité et d’assistance apparemment désintéressée, se sont acquis depuis longtemps la majorité des classes populaires privées de l’espoir d’une vie meilleure (petits employés exploités,  travailleurs indépendants méprisés par tous les détenteurs des autorisations dont ils dépendent et essorés par le bakchich, vieux ou jeunes au chômage, paysans des  campagnes déshéritées) et dont on peut craindre à juste titre enfermement, rigorisme et régression. Mais aussi les motifs d’espoir puisqu’aussi bien, comme le dit Claudel, « le pire n’est pas toujours sûr ».
Si les intervenants ont presque tous souligné l’incompatibilité de la charia (du fait de son caractère juridique : un « catalogue de prescriptions » disait Jacques Berque) avec la démocratie garante des libertés individuelles, ils se sont presque tous attachés à définir les conditions d’une possible démocratie dans un pays islamique. Dans l’idéal démocratique la religion est affaire privée: tout citoyen a le droit d’en avoir une, quelle qu’elle soit, et de la pratiquer ou de les refuser toutes. C’est ce que confirme le principe de laïcité. En pays islamique la démocratie qui doit, a minima, garantir les libertés individuelles, doit aussi garantir la liberté de conscience dans le domaine religieux même si l’Islam y est religion d’État.
Trois paramètres peuvent être retenus pour évaluer le religieux dans le politique (Vincent Geisser) : le lexique, les lieux symboliques (place de la paix ou mosquée) les acteurs (intellectuels ou imams).
Serait-il donc possible d’introduire la raison dans un régime politique islamique?

Pour proposer des éléments de réponse à cette question, trois pays :
un laboratoire la Tunisie – initiatrice du mouvement révolutionnaire,
un «modèle» la Turquie,
un repoussoir l’Iran.
Après les élections qui ont donné 41,7 % des sièges au parti Ennahdha et une très large majorité aux partis se réclamant de l’Islam, la Tunisie va-t-elle ou non inscrire la charia dans sa constitution ?
La Turquie comme modèle d’un exercice libéral du pouvoir religieux  puisque l’Islam y est sous contrôle, qu’il est plus éthique que politique, d’appartenance plutôt que de croyance véritable ou de comportement ( Samim Akgönül) et que l’A.K.P.  a instauré une sorte de pluralité confessionnelle, du moins pour 3 groupes de populations (Juifs sépharades, Arméniens et Grecs orthodoxes).
L’Iran comme cauchemar de l’utopie islamiste où l’on peut repérer une usure du pouvoir islamique en place depuis 30 ans, des difficultés économiques, commerciales, et d’approvisionnement alimentaire ou en matériel que le gouvernement ne peut résoudre à lui seul, une réduction de la démographie due aux mariages tardifs de plus en plus nombreux et diverses « révolutions minuscules » qui affectent le pouvoir religieux.

Pour les participants à la table ronde finale les perspectives restent sombres : «sous le turban le képi » surtout lorsque le pouvoir détient l’argent du pétrole. «Rien n’est certain» redit Yadh Ben Achour , le constitutionnel tunisien, mais pour que l’idéal démocratique puisse être encore réalisable il faut rester vigilant,  accepter le bricolage et certains compromis, exploiter le caractère transnational de l’islamisme qui permet de généraliser ici comme ailleurs une « dynamique du croire » qui va bien au-delà d’une religion particulière, exploiter la dynamique de la mondialisation des réseaux de communication, exploiter la montée des individualismes qui supplanteront les allégeances tribales, tirer parti d’une « lame de fond de la sécularisation de la société islamique » (Abdelmajid Charfi) et reconnaître l’importance du rôle des femmes pour le projet d’une société à venir (Latifa Lakhdar). Bref il faut rester vigilant sur tous les fronts.  Et tous ont convenu que  si l’intellectuel a besoin de recul pour dégager des perspectives il doit aussi savoir s’engager dans l’action.

Bel appel à la lucidité et au courage dont le collège des Bernardins souhaite se faire l’écho. Jacques Huntzinger dans le discours introductif et Antoine de Romanet dans le discours de clôture ont l’un et l’autre rappelé le lancement de son nouveau séminaire «Religion en Méditerranée, renouveau et sécularisation », pour accompagner le devenir de la religion vers l’autonomie par rapport au politique…comme une lumière dans la nuit ?

Eveline Caduc
<http://www.amazon.com/Eveline-Caduc/e/B001K7CQ8Q>
caduc@unice.fr

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