Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois

3 octobre 2010


Un Grand Prix d’émotion à Cannes pour cette question posée et reposée tout au long du film qui met en scène le drame des moines de Tibéhirine.: «Pourquoi rester quand tout devient si noir? » oui, pourquoi rester alors qu’ils ne sont pas d’ici ?

– Nous sommes ici comme des oiseaux sur la branche…

– Non ! dit une voix de villageoise, c’est nous qui sommes les oiseaux.

Mais le Wali enfonce le clou, qui signale l’imminence du danger :

– Vous nous gênez !

Alors entretenir la gêne, oui, la gêne qu’inspirent leur allure calme dans le travail des champs ou du verger, leur main tendue vers tous ceux des villages alentour qu’ils s’emploient à soigner, aider, ou simplement écouter, leur regard clair malgré le doute qui continue de monter avec d’autres questions: « ça sert à quoi ? »  et encore : « un martyre ici, aujourd’hui, ça aurait quel sens ? »

ou la révolte : « je ne suis pas venu ici pour participer à un suicide collectif » ou la peur de celui qui ne peut ni répondre lui-même ni recevoir de réponse, la peur dans l’insomnie en pleine nuit ou le jour, dans le rêve éveillé de l’épuisement : « tu dors mon frère ? »

La réponse viendra après de longues méditations dans la solitude ou en commun, mais après combien de matines et combien de vêpres ? On ne saurait le dire tant les journées ont toutes le même ordre apparemment immuable : entre l’accueil des visiteurs venus de tous les villages environnants, les travaux au monastère et dans les champs ou les tâches aussi banales qu’une corvée de vaisselle ou l’épluchage des légumes: un quotidien mis en poème et chanté aux différents offices

La réponse viendra, mais que restait-il alors de la question ?

Saint-Augustin faisait dire à son Dieu : « tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais déjà trouvé». Au frère qui doute du sens de tout cela, frère Christian répond par une autre question qui fait retour à la sienne : « pourquoi te poser la question : tu t’es déjà donné » Et la réponse , la même pour tous, viendra un soir dans son évidence simple : continuer à tenir. Elle est dite par le médecin avec sa calme obstination d’homme libre : persévérer dans son être de branche pour tous les oiseaux des environs, persévérer dans son être de branche pour aider ou tout simplement témoigner de cet amour plus grand que les amours humaines, de la paix qu’il donne à ceux qui le partagent, et dont témoigne la lettre-testament laissée par Christian de Chergé :

Ma mort, évidemment, paraîtra donner raison à ceux qui m’ont rapidement traité de naïf, ou d’idéaliste :

« Qu’il dise maintenant ce qu’il en pense ! »

Mais ceux-là doivent savoir que sera enfin libérée ma plus lancinante curiosité.

Voici que je pourrai, s’il plaît à Dieu, plonger mon regard dans celui du Père pour contempler avec Lui ses enfants de l’islam tel qu’Il les voit, tout illuminés de la gloire du Christ, fruits de sa Passion, investis par le don de l’Esprit dont la joie secrète sera toujours d’établir la communion et de rétablir la ressemblance, en jouant avec les différences.

Cette vie perdue, totalement mienne, et totalement leur, je rends grâces à Dieu qui semble l’avoir voulue tout entière pour cette joie-là, envers et malgré tout.

Dans ce merci où tout est dit, désormais, de ma vie, je vous inclus bien sûr, amis d’hier et d’aujourd’hui, et vous, ô mes amis d’ici, aux côtés de ma mère et de mon père, de mes sœurs  et de mes frères et des leurs, centuple accordé comme il était promis !

Et toi aussi, l’ami de la dernière minute, qui n’auras pas su ce que tu faisais.

Oui, pour toi aussi, je le veux ce merci, et cet « à-Dieu » envisagé de toi.

Et qu’il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux, en paradis, s’il plaît à Dieu, notre Père à tous deux. Amen ! Inch’Allah!

Oui ce film qui retrace l’histoire vraie d’un combat d’ordre spirituel est comme une grâce et l’autre grâce est qu’il ait pu obtenir ce Grand Prix décerné par le jury de Cannes. 

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