Lu pour vous dans EL WATAN
le 27.09.11
Mohammed Harbi : «Il faut redéfinir le lien social et le vivre-ensemble»
C’est à l’historien émérite Mohammed Harbi qu’échoit la tâche de l’analyse globale d’un colloque qui aura duré trois jours, dont il dira d’emblée qu’il aura décidément couvert tous les domaines des sciences sociales.
«L’analyse sociale et économique a pris une très une grande importance et on a beaucoup parlé du partage du gâteau en évoquant le problème des systèmes politiques», a dit M. Harbi. L’apport de l’historien tiendra autour de trois points à éclaircir. La problématique de la démocratie dans le monde arabe, dont il dira qu’elle n’est pas une réalité mais un langage : «Pour que la démocratie soit une pratique, il faut traquer partout le problème de la soumission en s’attaquant au problème de la culture politique.» Selon lui, les sociétés précoloniales, qui étaient extrêmement inégalitaires et où le rang comptait beaucoup, auraient engendré une philosophie basée sur des préférences où l’origine familiale et le rang comptaient énormément et donnaient des privilèges particuliers.
Cette mentalité serait toujours à l’œuvre dans les sociétés d’aujourd’hui et aurait été réintroduite dans nos systèmes politiques basés sur la cooptation dans le choix des responsables. L’autre phénomène qui participe à la prolongation du système de soumission est la domination masculine qui pèse de tout son poids sur la société et entraîne cette régression de la pensée arabo-musulmane que dénonçait déjà le philosophe Ibn Roch (Averroès) au XIIe siècle. Selon M. Harbi, si nos sociétés sont en retard par rapport aux sociétés chrétiennes, c’est parce qu’elles ne permettent pas aux femmes de jouer pleinement leur rôle. Les structures politiques sont calquées sur les structures familiales et le chef de clan ou de famille a le même rôle que le chef politique.
«Il faut revoir la problématique de la démocratie et s’en rapprocher le vite possible. Ce que nous connaissons actuellement est tout simplement une décompression autoritaire. C’est-à-dire que l’autoritarisme ne pèse plus de la même manière que par le passé. Cela est dû au fait que petit à petit, des mouvements d’opinion ont ouvert la voie à des prises de conscience», a-t-il déclaré. Pour l’historien, il faut s’attaquer au changement de mentalité de manière urgente. Il est également impératif de redéfinir le lien social et de définir de nouvelles règles de «vivre ensemble».
Le vivre ensemble signifie que l’on prend en compte la diversité des populations et des opinions et tout ce qui permet de créer cette cohésion sociale qui est mise à mal dans beaucoup de pays arabes qui ne respectent pas les langues et les cultures des minorités, comme les Kurdes et les Amazighs. Mohammed Harbi pose également les problèmes de l’égalité des sexes et de la diversité des confessions qui ne sont pas pris en compte. «Il faut réfléchir à cette diversité de confessions très vite et très sérieusement», dit-il en pointant du doigt le problème du Soudan qui a éclaté pour n’avoir pas su tenir compte de ses propres assises et des rapports entre populations et confessions.
Le conférencier soutient que lorsque nous avons voulu redéfinir le lien social, nous l’avons fait uniquement par rapport à la domination étrangère et laissé de côté un certain nombre de phénomènes. «Nous avons trop idéalisé notre passé, il faut le revisiter à travers toutes les hypothèques qu’il nous a laissées, comme le clientélisme ou le factionnalisme. Nous avons tout intérêt à redéfinir ce lien social que nous voyons dans nos sociétés se déliter et aller dans toutes les directions», a-t-il dit, en soulignant que des populations sont prises en otages dans leur propre pays et désespèrent. Le dernier point évoqué par M. Harbi est le problème des convergences. «C’est le problème des forces avec lesquelles nous devons nous allier à travers le monde pour essayer de sortir des phénomènes de dépendance que l’on cherche ici ou là à nous imposer», explique-t-il.
L’historien conclut qu’il est impératif de changer notre grille de lecture du monde car il a changé et connaît de nouvelles recompositions. Il faudrait substituer à la souveraineté de l’Etat et de la nation la souveraineté du peuple, tout en garantissant toutes les libertés individuelles et la liberté de conscience.
Djamel Alilat
Lu pour vous dans EL WATAN
le 26.09.11
Les révoltes arabes : une menace ou une aubaine pour l’empire ?
Quel impact auront les révoltes arabes sur l’occident et sur les rapports que le Moyen-Orient entretient avec « l’empire » ? Le sixième et dernier panel du colloque international El Watan et IME sur le printemps arabe avait pour objet ces relations.
Sous le thème « les révoltes arabes, menace ou aubaine pour l’empire ? », cet atelier était présidé par le journaliste marocain Aboubark Jamai, et a vu l’intervention de Daniel Lindenberg, professeur émérite à l’université Paris 8, ainsi que celle de Jean-Paul Chagnolaud, professeur des universités à Cergy-Pontoise.
Et quel meilleur témoin que le regard porté par les intellectuels et les faiseurs d’opinions d’un « empire » ? «Pratiquement l’ensemble des intellectuels, non seulement français, mais occidentaux en général, ou encore chinois, qui surveillent de très près ces révolutions », a entamé M. Lindenberg.
« Il faut impérativement s’intéresser à d’autres empires de pensées et d’opinions, portés par quelques intellectuels, qui ont pignon sur rue et peuvent avoir de l’influence, que cela soit dans les médias ou dans les partis politiques », a-t-il poursuivit.
Et ces événements ont pris de surprise et « à rebrousse poil » une grande partie de la classe intellectuelle française. « Aucune catégorie de cette intelligentsia n’avait les outils mentaux, « le logiciel », afin de comprendre immédiatement ce qui se passait, d’abord en Tunisie, puis dans les autres pays », a affirmé M. Lindenberg.
Et si ces révolutions ont dévoilé quelque chose, ce sont bien les préjugés qu’ont ces intellectuels quant aux « arabo-musulmans ». « Leur silence devant la révolution tunisienne a bien mis en exergue bien des non-dits, de racisme à l’égard des arabes, des maghrébins et des musulmans. Que ces derniers sont voués à l’arriération. Que culturellement et cultuellement ils ne peuvent qu’être des sujets faciles à la tyrannie ou tomber dans l’islamisme », a-t-il énuméré.
Ils se faisaient cette idée d’un monde arabe immobile, avec pour leitmotiv « un Ben Ali est préférable à un Ben Laden ». « Ils sont pris entre l’aphasie ou la dénégation des révolutions. Il y a du mépris, mais aussi une ignorance abyssale, satisfaite d’elle-même », a-t-il déploré. Et aujourd’hui ? « Ils se raccrochent aux branches après avoir été dépassé par cette vague, en disant qu’au final, oui, les arabes peuvent accéder à la démocratie ».
« Le printemps arabe et la question palestinienne »
L’autre grande question abordée par ce panel est le dossier palestinien. « Les palestiniens au milieu de ce printemps ? Pourquoi ne font-ils pas de révoltes ? Ils ont déjà fait deux intifada, et cela sans résultats », a expliqué M. Chagnolaud. « Et de nombreuses manifestations de la jeunesse palestinienne n’étaient pas contre telle ou telle chose, mais pour l’unité nationale », a-t-il poursuivit.
Alors, aujourd’hui, c’est un autre type de révolte que l’autorité palestinienne a osé : une intifada diplomatique. « C’est une révolte contre l’indifférence de certains, l’hypocrisie des autres, et la lâcheté de beaucoup », a-t-il commenté.
Et dans quelques jours, les palestiniens auront, à minima, un statut d’Etat observateur, ce qui lui donnera accès à de nombreux organismes, et induira un changement de la nature des discussions.
« Ainsi, après 20 ans de négociations et d’atermoiements infructueux, l’autorité palestinienne a réussi à faire bouger les lignes, et à mettre tout le monde devant ses responsabilités », a conclut M. Chagnolaud.
Ghania Lassal