Iles, fil d’Ariane
Marcello-Fabri-Iles, fil d’Ariane – Avant-Propos de Simone Rinaudo
Iles, fil d’Ariane
Avant-Propos
Les poèmes où Marcello-Fabri évoque rivages et paysages d’Alger sont restés célèbres chez les « Algérianistes ». Sous ce titre – Iles, fil d’Ariane – nous souhaitons redonner vie à son œuvre entière, prose et poésie, dans sa riche diversité, son étonnante actualité.
Qu’il agisse en critique d’art, en romancier, en essayiste, en écrivain de théâtre ou en philosophe, il est avant tout poète. Par la poésie il multiplie les grilles d’interprétation de son monde intérieur, il démonte les mécanismes de la société dans laquelle il vit et par des intuitions fulgurantes – parce qu’il n’est pas seulement écrivain, mais aussi peintre, musicien, investissant tous les domaines de l’art – il devient visionnaire de notre société d’aujourd’hui. Et un précurseur étonnant.
Il naît en 1889 et meurt en Algérie en 1945. Pourtant dès sa jeunesse, il est un européen et un mondialiste convaincu, tout en dénonçant clairement les dangers de l’universalisme. Il a foi en l’homme, nous pouvons même certifier que l’homme et l’art sont au cœur de son œuvre et de son espoir. Mais il n’est jamais dupe de ses dérives, de ses tentations, de ses erreurs.
Humaniste, il s’est voulu tête de pont entre la culture algérienne naissante et celle de la métropole. Il en a été le représentant passionné, grâce à ses nombreux voyages entre les deux capitales, grâce aux deux revues successivement fondées à Paris, grâce à des amitiés fidèles sur les deux continents et à des échanges culturels incessants.
Deux guerres l’ont déchiré, lui et les hommes de sa génération, celle de ses enfants. Son œuvre en porte les stigmates mais lui permet d’ouvrir des voies nouvelles, le roman « générique », sans personnage, de combattre pour l’espoir, de concevoir en utopiste généreux. Une autre guerre, il l’ignorera, va douloureusement bouleverser sa terre, la génération de ses enfants, interrompre brutalement une culture dont il est issu, pour laquelle il se battait. Cela s’appelle une tragédie, cela s’appelle l’Histoire.
Ce qui dépend de nous, lecteurs, c’est de découvrir, de soutenir les lueurs d’espérance de cette production aux mille facettes. Puisqu’une œuvre est justifiée par sa nécessité intérieure et jugée par ses fruits, celle-ci a déjà fait une rude route dans le silence de l’attente qui n’est pas oubli. Puisqu’une génération déracinée a religieusement, confidentiellement accompli, elle aussi, son devoir de mémoire en la portant à notre connaissance. Puisque les Français, aujourd’hui, se penchent sur leur plus proche passé pour le relire, pour le comprendre et mettre au jour un refoulé de peurs, d’hypocrisies, de tabous qui les empêchaient d’assumer pleinement celui-ci. Bref, pour agir et construire en adultes le monde d’aujourd’hui et de demain. Et là, nous pouvons nous appuyer sur les écrits de Marcello-Fabri. Sur ce que nous allons apprendre de cet homme éminemment libre et créateur, à contre-courant de son milieu, de son époque, ce qui lui a valu bien des inimités qu’il était de taille à affronter et des amitiés qu’il était homme à défendre et à cultiver.
Trois générations nous séparent de lui, mais les échos suscités par la lecture de ses livres, ses vers somptueux admirés par Valéry et Bernanos, sa vision prophétique de notre société, sont des jalons précieux pour tous ceux qui avancent aujourd’hui en cherchant leurs propres voies, leurs propres réponses d’êtres libres et de bonne volonté, en accord avec le monde qu’ils portent en eux. Ce sont eux les vrais créateurs de ce monde, nous assure avec élégance Marcello-Fabri, même s’ils ne passent pas par les filtres de l’art. Ils sont les inventeurs d’aujourd’hui et de demain, à la dimension de l’humain.
Et là encore, l’œuvre de Marcello-Fabri est une pierre milliaire sur ce chemin. « Ton île est de toi même et tu l’habites seul… tu cherchais en ton fonds et priais comme on aime… » Qui ne voudrait reprendre à son compte ces vers où sont résumés toute une vie de joies, de douleurs, de quête ardente?
Et voilà le thème de l’île qui éclaire le titre de ce livre. Lieu mythique et clos de tous les rêves, de la solitude féconde, refuge idéal, protégé, où recharger ses forces, apaiser le doute et la douleur, centre tantôt imaginaire, tantôt réel de toutes les jouissances de la vie, ce thème de l’île court comme un fil d’Ariane à travers l’œuvre d’un homme qui a conjugué inlassablement les mots amour et foi tout au long de son parcours. Et voilà d’autres clés de ce livre. Nous en avons retenu cinq! L’amour, la mort, la terre, la foi, l’art. Ces cinq chapitres de textes et de poèmes sont rythmés par des analyses, des hommages de ses contemporains ou de ceux qui, de génération en génération, découvrent ces belles pages et y perçoivent un écho, désireux, à leur tour, de le porter à la lumière sous d’autres perspectives. Ces textes éclairent de leur alternance les multiples facettes d’une création, quelquefois difficile, mais qui requiert comme tout viatique, patience et amour.
Simone Rinaudo
Spécialiste Communication Poésie
Septembre 1998