La tragédie des Harkis

Coup double ce 4 février 2012 pour Fatima Besnaci-Lancou!

Après le numéro de novembre-décembre des Temps Modernes ( la revue de Sartre et Simone de Beauvoir!) consacré aux Harkis: « 1962-2012 , Les mythes et les faits », toute une journée de colloque à Paris, à la Maison du Barreau, pour poser la question: « La tragédie des Harkis: un crime contre l’humanité? »

50 ans après, voilà donc retournée et , croyons-le, sincèrement émue toute une partie du camp qui , il y a peu de temps encore et à quelques exceptions près, ne considérait pas comme « politiquement correcte » cette catégorie de citoyens français d’Algérie dits « musulmans » qui, sous le gouvernement de De Gaulle, s’étaient vu  accordé avec des pincettes , quand ce n’était pas refusé ou carrément interdit,  l’accueil sur le sol de France ou le titre même de citoyens français dont ils étaient détenteurs de plein droit au moins depuis le décret de 1958.

Toute une journée donc pour des définitions ou des distinctions  (Harkis, ou supplétifs, volontaires ou contraints, engagés ou retournés ), des précisions sur les différentes séquences historiques avec dates et chiffres données par des historiens (Benjamin Stora, Abderahmen Moumen, François-Xavier Hautreux, Lydia Aaït Saadi etc…), des sociologues, des arguments donnés par des juristes comme Géraud de la Pradelle , parfois eux-mêmes fils de Harki comme Charles Tamazount,  avec aussi le regard « extérieur » de l ‘historien américain  Todd Shepard,  très au fait de toutes les questions juridiques, qui apportait la distanciation indispensable dans l’évaluation des responsabilités gouvernementales  ou celles de groupes de pression idéologiquement relativisées par certains intervenants. Et une place a même été réservée à la contribution de la littérature à l’image de la femme Harkie avec l’intervention de Zineb Ali-Benali.

Chaque table ronde était précédée d’une projection de documentaires, de vidéos ou de films (entretien de Gilles Manceron avec Mohamed Harbi), provenant parfois des archives de l’INA (directives de Pierre Mesmer ou de Louis Joxe, commentaires de Bernard Tricot), ou de vidéos présentant le témoignage d’un ancien  militaire qui avait sauvé des Harkis ou qui avait été contraint de les abandonner ou encore de documentaires qui montraient les conditions ignominieuses dans lesquelles étaient parquées les familles de Harkis dans des camps, des prisons désaffectées ou des villages en ruines avant  de trouver un logis dans un hameau forestier ou , dans le meilleur des cas, un appartement d’accueil.

(Pour le  détail des interventions et les noms des intervenants ou des animateurs de ces 5 tables rondes voir le site de l’association Harkis et Droits de l’Homme  <http://www.harki.net/article.php?id=625>.)

On peut toutefois regretter que n’aient  pas été suffisamment reconnues au cours de cette journée les actions des premiers fils de Harkis qui se sont élevés contre ce déni de justice dont leurs pères avaient été victimes: grèves de la faim, longs « sit-in »d’hiver sur l’esplanade des Invalides (comme celui d’Abdelkrim Klech), marches du collectif « Justice pour les Harkis »,  actions du collectif d’AJIR, ni suffisamment rappelés les travaux de Mohand Hamoumou ou les collectes de documents de Taoues Titraoui.

Et regretter aussi que la sélection opérée par la LICRA , co-organisatrice de l’événement, n’ait pas, pour les questions posées aux candidats à la présidentielle, recouvert l’ensemble des sensibilités politiques des Harkis tant de fois déçus dans leurs revendications légitimes depuis 50 ans et qu’ils n’aient entendu que les propos lénifiants d’une députée PS d’un arrondissement parisien arrivée à la dernière minute!  Le président de la LICRA a cependant rattrapé la mise en plaçant son discours de clôture au dessus des clivages politiques et conclu de façon consensuelle en mettant en garde contre les dangers du communautarisme, en appelant à la reconnaissance officielle de l’abandon des Harkis par l’état français  et des massacres qui s’en sont suivis mais aussi au vote d’une loi pénalisant la diffamation et l’injure envers les Harkis.

Souhaitons à Fatima Besnaci-Lancou de pouvoir accompagner cette promesse jusqu’à sa réalisation complète avant la fin de 2012. Ce serait l’achèvement d’un devoir de mémoire et d’un travail de justice en cette année qui marque pour nous tous le cinquantenaire d’un grand Dérangement.

Eveline Caduc