Frères du Bled

Frères du bled , une pièce de Christophe Botti ,

mise en scène par Marion Suzanne

La Scène Watteau, Nogent-sur-Marne

3-16 octobre 2005

Faire monter la parole comme une bulle à la surface de l’eau à partir d’un chant oriental qu’une fille fredonne seule en scène. D’un chant lancinant relayé par une mélodie française — des années 60 ou 80 on ne sait plus — un chant et une mélodie qui traversent le temps, comme la parole doit traverser le silence. Faire lever la vérité dans le silence des choses tues, cachées, enfouies depuis tant d’années ! Faire lever la vérité comme le levain dans la pâte. Lui donner de l’air…

Il fallait donc ouvrir l’action sur une dispute — vraie, fausse — entre les deux jumeaux : la fille Yasmine, le garçon François. Une dispute qui met en scène d’autres conflits familiaux : Yasmine ne supporte plus les silences de leur mère ni sa froideur envers Djalil, son frère chéri. Mais François soutient sa mère contre Yasmine et contre son frère. Djalil ne serait-il pas le fils d’une autre femme? François et Yasmine sont bien frère et soeur puisqu’ils sont jumeaux. Yasmine et Djalil ont tous les deux des prénoms arabes. Mais sont-ils enfants de la même mère ? Quel secret ou quelle faute a cachés le père, Maurice, dont il ne reste qu’une photo posée sur la table ?

L’action se passe dans les années 80. C’est le jour des morts. Ses enfants doivent célébrer la mémoire de Maurice comme le rappelle chaque année sa veuve, Marcelle, dont le visage restera longtemps caché derrière le pot de fleurs destiné au cimetière.

C’est le jour des morts mais ce jour de novembre sonne aussi le début de la guerre d’Algérie, même si l’histoire avait déjà tourné neuf ans plus tôt, le 8 mai 45.

Les trois jeunes gens, chacun à sa façon, ont décidé de briser la chape du secret et de se libérer des problèmes du passé. Même si François, pour défendre sa mère, se raidit dans des a priori qui fleurent le racisme, chacun veut pouvoir commencer à répondre de soi sans avoir à répondre des contradictions qu’ont vécues les pères. Djalil revient d’Algérie. Il en rapporte la valise de Maurice. La seule qui sait tout depuis le début, la mère ne s’oppose pas à ses révélations : son silence les confirme.

À l’usage des jeunes des années 80, le passé défile en quelques scènes dans un flash-back qui fait surgir les deux protagonistes d’autrefois : Maurice le pied-noir sur le point de partir en France pour faire des études, son ami d’enfance Abdallah, le fellah. Et c’est la réalité de la guerre qui éclate dès le deuxième acte. Avec, bientôt, l’obligation de choisir son camp. Retrouvé dans la valise, le journal de Maurice dit ses inquiétudes, ses tourments. C’est la réalité de la guerre qui le conduit à trahir le serment d’amitié à toute épreuve qu’il avait échangé autrefois avec Abdallah. Enfermé avec les siens dans les derniers jours avant l’indépendance, il n’ouvre pas sa porte à Abdallah, le Harki poursuivi par le F.L.N.. Abdallah est assassiné. Maurice ne pourra pas se pardonner sa mort.

Il y a beaucoup d’amour dans Frères du bled. Malgré ses faiblesses, la mère aime ses trois enfants. Et il faut entendre Djalil, parti en Algérie à la recherche de la vérité, remercier Maurice de lui avoir donné un visage de père et dire en final : « je suis fils de Harki, je suis Français, et j’en suis fier » pour comprendre que ces révélations étaient nécessaires à la construction de soi qui signe la fin de l’adolescence.

Ces trois-là, et surtout Yasmine et Djalil, semblent dire de l’une à l’autre des deux rives : «Regardez ce chemin que nous avons fait seuls. Écoutez-nous ! Une génération a passé depuis la guerre d’Algérie, il faut maintenant tirer la leçon de nos histoires pour construire l’avenir. Et nous pouvons le faire tous ensemble »

Allez donc avant le 16 octobre à Nogent-sur-Marne écouter les enfants de ces Frères du bled . Ils sont sur la Scène Watteau, place du théâtre, juste à la sortie de la station de Nogent-Le Perreux (Ligne E4 du RER Haussman-Saint-Lazare , direction : Tournan) !

Eveline Caduc