Une lumière dans la nuit (8)

27 janvier 2013

« J’ai allumé mon corps pour le regarder vivre » c’est sur ces mots d’Aziz que le noir se fait sur scène dans la dernière pièce de Mustapha Benfodil mise en scène par Kheireddine Lardjam : « End/Igné », une fin par le feu.
Elle se déroule tout entière  dans le huis clos de la morgue à l’hôpital de Balbala, quelque part en Algérie.

Moussa, ex-futur ingénieur repoussé à l’embauche du complexe voisin, y accomplit la tâche ingrate de laveur de morts en enregistrant pour son ami Aziz, le poète-bloggueur, les tribulations qui ont conduit ses  » clients » dans les 54 casiers rangés tout autour de lui : depuis le bébé abandonné dans une poubelle jusqu’à la femme projetée sur un pieu par
une gifle de son mari en passant par le jeune dealer découpé en morceaux.
La montre d’un désespéré continue de marquer le temps pour rien.

Bien qu’il doive aussi s’échiner à constituer des fiches pour d’improbables autopsies et des colonnes de statistiques qui s’entasseront dans les tiroirs de l’administration, Moussa sait encore rire en singeant l’homme de pouvoir assoupli par un bakchich ou l’imam interdisant les ablutions funèbres aux suicidés, ou encore improviser un pas de danse sur une musique entendue à la radio. Et tout cela parce qu’il a un projet de vie : ce livre que fera le poète résistant à partir de tous les récits de non-vie qu’il aura enregistrés pour lui.

Mais on annonce l’arrivée d’un dernier client : c’est Aziz qui vient de s’immoler par le feu, seul moyen qui lui restait pour se rendre à lui-même cette dignité d’homme que  le Système  lui refusait.
Moussa prendra en charge son récit de non-vie.

Une pièce en deux parties et cinq tableaux sur un rythme enlevé pour rendre sensible le vide mortel qui menace une jeunesse privée d’espoir, celle de Moussa, de Balbala ou d’ailleurs encore en Algérie. L’alliance de la compassion et de l’humour noir, de la poésie et du style journalistique pour rendre compte d’une désespérance, celle d’Aziz. Un même acteur à la présence forte, Azeddine Benamara, pour tenir les deux rôles. Tout cela concourt  à faire d’End/Igné  un grand moment de théâtre présentement sur une petite scène en attendant celle, plus grande , d’Avignon en 2013.

<evelinecaduc.fr>
A

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