Algérie, une seconde révolution? (34)

18 août 2011

Lu pour vous dans EL WATAN
le 10.09.11

Quels intérêts stratégiques défendent les pays occidentaux dans les pays arabo-musulmans ?
Les pays occidentaux ont-ils intérêt à voir la démocratie se développer dans les pays en développement en général, et les pays arabo-musulmans en particulier ?

Cette question mérite un détour, me semble-t-il, lorsqu’on analyse les réactions de ces derniers à l’occasion des mouvements populaires survenus dans cette aire géopolitique ces derniers mois, et qui se propagent comme une onde choc dans le reste du monde (Afrique, Asie). Les USA et l’UE (en particulier la France et le Royaume-Uni, de par leur passé colonial dans la région), n’ont eu de cesse de répéter pour qui sait lire leurs messages codés, qu’ils défendent «leurs intérêts, biens compris, dans nos pays respectifs» ! Il est coutumier d’entendre les politiques dire que «ce qui est bon pour Ford, Lockheed, GM, Coca-cola, Boeing… est bon pour les USA» ! De même que ce qui est «bon pour Peugeot, Dassault, Aréva, Borolé… est bon pour la France». L’argumentaire est imparable : ces multinationales créent de l’emploi et payent des impôts ! Est-ce aussi évident que cela en termes d’emplois à l’heure des délocalisations généralisées ? La domiciliation des bénéfices réalisés dans des paradis fiscaux pour gonfler les dividendes et les super bonus n’est-elle pas de l’évasion fiscale pour les budgets des Etats ? De quelles contreparties ont bénéficié ces multinationales pour investir localement et ont-elles honoré, à terme, leurs engagements ? Y a-t-il une frontière claire entre les intérêts des pays respectifs et les intérêts individuels des propriétaires du capital ?

En d’autres termes, les intérêts individuels et ceux collectifs sont-ils toujours compatibles et en cas de relations conflictuelles aux profits de qui se règlent-elles ? Le constat actuel est évident, puisqu’il nous indique que les contrats juteux et à court terme au profit de petites minorités des deux pays cocontractants sont toujours privilégiés par rapport à des politiques de co-développement, à moyen et long termes, au profit des populations les plus larges de ces mêmes pays.
A l’évidence, il est plus facile pour les pays occidentaux de négocier des contrats mirobolants avec des dictatures qu’avec des démocraties… Tout le monde en convient aisément, d’autant plus qu’il y a, à la clé, dans beaucoup de cas, des possibilités de commissions et de rétrocommissions(1) ! En effet, la nébuleuse corruption ne peut se comprendre et s’analyser que dans la mesure où elle est approchée par le conduit du couple indissociable que forment le corrompu et le corrupteur, les deux faces d’une même médaille.(2) Comment se fait-il que les pays occidentaux n’en parlent, en général, qu’après l’éviction du dictateur par la vindicte populaire (avec son lot de cadavres et de destructions matérielles) ? N’ont-ils aucune responsabilité dans sa prise de pouvoir et sa consolidation ? Les acteurs politiques, en Occident, ont-ils peur que ce même dictateur(3) ne les incrimine à son tour, en révélant certaines activités condamnées par la morale universelle ? Comment concilier intérêt et éthique ? Les donneurs de leçons sont-ils indemnes de tous soupçons ? Plusieurs Etats (les monarchies du Golfe(4), le Maroc(5), la Tunisie, l’Egypte) font l’objet, depuis plusieurs années, d’un traitement «privilégié» et d’un silence assourdissant et complice quant à l’exercice du pouvoir et leur comportement vis-à-vis du registre des droits fondamentaux de leur propre population. Cet autisme d’Etat non assumé a entraîné une cécité politique totale, lorsque la récente «intifadha» a renversé les régimes de deux pays de la région et d’autres suivront très nécessairement.

Des pièces maîtresses des dispositifs stratégiques de contrôle de cette aire géopolitique se sont écroulées comme un château de cartes, alors que réputées capables de résister aux secousses sociopolitiques les plus fortes. Leurs concepteurs, tétanisés, se sont contentés de rattraper le mouvement et de l’accompagner de manière à minimiser leurs pertes et à sauver leurs intérêts qui restent encore possibles de sauver, de manière à ce que la refondation de cette aire sociopolitique et économique ne se fasse pas sans eux, pour toujours protéger leurs intérêts stratégiques.
En effet, les problèmes d’éthique et de moralisation des actes publics des Etats, mondialisation oblige, doivent s’inscrire dans un processus de respect de la dignité humaine et s’enregistrer dans l’universalité des droits de l’homme.
A cet endroit, entre en ligne de compte le concept anglo-saxon de la «real politic» qui consiste à sacrifier la morale sur l’autel des intérêts, ou, lorsque trop lourd à porter, de surfer sur les deux concepts antagoniques à la fois, en ayant une excellente police d’assurance en cas de chute.

Les relations internationales ont enregistré une transformation majeure après les attentats des Twin Towers de New York et la lutte anti-terroriste mondiale est devenue une référence structurante qui détermine les liens qui se tissent entre les Etats. Dès lors, les pays occidentaux, derrières les USA(6), ont considéré que toute politique qui permet d’éradiquer ou de contenir la poussée de l’islamisme politique et de son corollaire radical, le terrorisme, est bonne à prendre, quelle que soit la nature du pouvoir en place. Cette erreur stratégique fatale va entraîner l’émergence des dictatures les plus féroces (contre leurs propres ressortissants) dans la plupart des pays arabo-musulmans (et ailleurs), soutenues et confortées par tous les pays occidentaux(7) à l’unisson. Un troc mondial d’Etat va se construire entre, d’une part, la lutte antiterroriste, le confinement des flux migratoires et la signature de contrats douteux et, d’autre part, l’implantation de dictatures locales complètement verrouillées politiquement.

La fuite des forces vives de ces nations est alors organisée en vue de la récupération des compétences et des cadres susceptibles de servir les intérêts des pays étrangers ou d’adoption (les binationaux), vidant sournoisement nos pays de ses élites qui vont se mettre entre parenthèses (exil intérieur et extérieur). L’autre force vive des nations, leur jeunesse, va s’exporter elle-même, désespérée (au péril de sa vie), à travers des ramifications plus ou moins organisées par les pays de départ et de destination, ce qui constitue des «soupapes de sécurité» en matière de flux migratoires. Dès lors, le binôme terrorisme-dictature va se mouvoir en dehors de la société, qui, elle, va tenter de se protéger contre ces deux régressions sociétales qui s’affrontent pour que chacune tente de prendre la place de l’autre. Ce face-à-face sera d’autant plus sanglant que le pays dispose de richesses, c’est le cas de l’Algérie,(8) ou contrôlé si l’aire géopolitique régionale ou internationale est stratégique (cas de l’Egypte).

Cette vision binaire (dictature ou terrorisme) ne laisse aucun espace pour que la société organisée puise et trouve en elle-même les ressorts sociétaux qui puissent la sortir de ce choix manichéen(9). Accusée tantôt de faire le lit de l’un ou de l’autre des choix imposés, la société va rejeter ces deux propositions, après les avoir testées(10), par l’organisation de la résistance passive, conçue comme une défiance totale de toutes propositions formulées par ces deux appareils antagoniques. Ce sont les sociétés (autrement dit la majorité silencieuse) de cette région que l’on ne voulait pas voir et auxquelles on a dénié le droit d’exister, en dehors des systèmes dictatoriaux, qui ont pris leurs responsabilités historiques et qui se sont mobilisées dans des mouvements populaires(11), autour d’un slogan
unique : «la dignité humaine» ! Dès lors, un certain désarroi est affiché par des pays occidentaux vis-à-vis de ce tsunami contestataire en Tunisie, en Egypte, au Yémen, en Libye, à Bahreïn… suivi en Algérie et au Maroc(12) pour l’instant. Il est alimenté par leur incapacité d’anticipation et la nature même de la revendication sociale initiée par les contestataires. La soudaineté des émeutes est factice, dans la mesure où ils ont refusé de voir la réalité criante duelle qui caractérisait les pays de la région durant de longues décennies(13).Une misère extrême dans l’arrière-pays qui cohabite à la frontière d’un «espace doré et hyper sécurisé» réservé au tourisme étranger et à la nomenklatura locale, industrie que l’on exhibe comme exemple de réussite (au Maroc, en Tunisie, en Egypte) et comme modèle à suivre pour les autres pays.

L’émergence «à marche forcée» d’une classe sociale arrogante, ostentatoire et acculturée de nouveaux riches qui ne peuvent justifier leur richesse que par leur proximité mafieuse vis-à-vis du pouvoir, jouxtant avec une masse de miséreux et de laissés-pour-compte, abreuvés de promesses non tenues, va créer les premières fractures sociales et un sentiment de rejet du système (le nidam) sous toutes ses formes respectives dans chaque pays.
Cette masse de jeunes personnes, avec ou sans éducation et formation, va se poser la question de son devenir et de sa place dans la société, autrement que par le volet économique. N’ayant pour seul choix que l’aliénation sous la forme de la harga, du terrorisme, du banditisme, de la drogue et autres trafics, cette population refuse le sort qui lui est réservé et ne peut que se diriger vers un mouvement d’émeutes généralisées lorsque la masse critique est atteinte pour chaque pays respectif. Les réponses autistes des «sans-culottes» du système au pouvoir (promesses d’emplois, transferts sociaux, augmentations diverses…) sont en complet décalage avec la revendication sociale qui aspire à la dignité, à la liberté de conscience et d’expression, à la participation et l’activité politique… Un système agonisant qui n’en finit pas de mourir. Comment gérer les transitions en économisant le sang des populations des pays arabo-musulmans et en particulier celui des Algériens, telle est aujourd’hui la question ?
Le slogan mobilisateur du mouvement pour le changement n’est pas de nature religieux et ôte à ceux qui l’ont utilisé le spectre de l’islamisme qui a longtemps justifié les dictatures. La dignité humaine, même pas les droits de l’homme, devient le porte-drapeau «des damnés de la terre» et le mythe fondateur d’une lame de fond qui n’épargnera aucun pays, l’Algérie incluse.

Dr Mourad Goumiri. Président de l’ASNA
Association des universitaires algériens pour la promotion des études de sécurité nationale

Lu pour vous dans EL WATAN

le 18.08.11

Attentats, faux barrages, kidnappings, racket

La lutte antiterroriste mise à rude épreuve

Tizi Ouzou, Sidi Ali Bounab, Yakourène, des noms qui reviennent telle une litanie à la une de l’information sécuritaire en Algérie. Embuscades contre des convois des forces de sécurité, enlèvements avec demande de rançon, attaques à main armée de bureaux de poste et de transporteurs de fonds, faux barrages, rackets, délinquance diverse, la région sombre dangereusement dans l’insécurité.

Tandis que les autorités politiques se murent dans un silence incompréhensif, après avoir «rétabli» la paix sur papier, les maquis se régénèrent et la population redécouvre une implacable activité terroriste menée par des groupuscules mobiles, rompus aux tactiques de l’embuscade, capables de lancer des attaques meurtrières simultanées comme ce fut le cas en février 2008 à Aïn Zaouïa, Aït Yahia Moussa, Aghribs et Tadmaït. Les autorités chargées de la lutte antiterroriste ont de tout temps expliqué l’acharnement des groupes armés contre cette région de 2958 km2 par son relief escarpé, ses forêts touffues et ses innombrables abris difficiles d’accès. L’étendue des maquis de la wilaya peut-elle à elle seule expliquer cette facilité déconcertante de déplacement et frappe des phalanges affiliées à la branche locale d’Al Qaîda ? Pour des observateurs, même si le relief s’y prête à merveille, la défaillance est à situer plutôt dans la faillite du renseignement et une certaine baisse de vigilance constatée ces derniers temps.

A Tizi Ouzou, après chaque attentat, les interrogations fusent à propos de l’efficacité du déploiement sécuritaire annoncé par les autorités. En effet, en dépit des moyens d’intervention mis à la disposition des différents corps des services de sécurité, dont des hélicoptères à vision nocturne, le dispositif sécuritaire demeure vulnérable et la défaillance dans le maillage sécuritaire est palpable sur le terrain. On se replongeant dans l’atmosphère de 2008, l’on peut «justifier» la réussite de l’attentat suicide du 3 août de cette année contre la première sûreté urbaine de la wilaya de Tizi Ouzou, car le kamikaze n’avait pas rencontré trop de difficultés pour commettre son acte criminel en raison notamment d’une certaine baisse de vigilance à cette époque de la part et des services de sécurité et de la population, qui croyaient palper désormais le retour de la paix. Mais celui de dimanche dernier, presque le même horaire qu’en 2008, on ne peut l’admettre sans trop d’interrogations, sachant que la ville de Tizi Ouzou a toutes ses issues quadrillées par des barrages filtrants de gendarmerie, de militaires et de la police, quasiment «hermétiques», de par les moyens sophistiqués utilisés pour la détection d’armes et d’explosifs.

D’aucuns justifient la réussite de cet attentat par le fait que le barrage filtrant et permanent de la brigade spéciale de la police au lieudit Annar Amellal, au sud de la ville de Tizi Ouzou, ait été levé il y a plusieurs mois. Pour s’introduire dans la ville, le kamikaze islamiste, auteur de l’attentat, aurait emprunté ce côté qui donne sur plusieurs zones non contrôlées s’étalant vers la vaste région de Bouhinoun. Sur ce point, des observateurs se demandent à quel niveau de responsabilité a-t-on décidé de la levée de ce barrage vital, placé en permanence depuis plus d’une année ?  En tout état de cause, la levée du barrage filtrant d’Annar Amellal a contribué, reconnaissent les mêmes observateurs, à la «réussite» de l’attentat criminel du 14 août 2011. Le démantèlement des groupes de patriotes et des GLD, en parallèle avec la politique de réconciliation nationale et de concorde sont les autres facteurs ayant contribué à la dégradation de la situation sécuritaire dans cette wilaya qui, outre les attentats meurtriers à l’explosif, a connu depuis 2006 pas moins de 65 cas d’enlèvement de personnes suivis de demandes de rançon.

Ahcène Tahraoui


Lu pour vous dans EL WATAN

le 14.08.11

Observatoire des violences faites aux femmes

Les agresseurs encouragés par le silence des autorités

L’Observatoire des violences faites aux femmes a dénoncé, hier, «le harcèlement sexuel et moral dont ont fait l’objet des journalistes femmes de la Chaîne IV et les violences exercées par les policiers contre des femmes habitant seules au Bois des Pins, à Alger».

C’est pour un débat sur la marche à suivre pour condamner les violences sous toutes leurs formes exercées à l’égard des femmes que les membres de l’Observatoire des violences faites aux femmes (OVFF) se sont réunis hier au centre des ressources de l’association Tharwa n’Fathma n’Soumer, à Alger.

A cette occasion, l’accent a été mis sur un constat des plus dramatiques des événements rapportés par la presse, notamment les expéditions punitives contre les femmes à M’sila, les agressions commises par des bandes de jeunes contre des filles dont certaines ont été victimes de viol collectif et les attaques dont sont victimes régulièrement les femmes vivant seules.
Les membres de l’Observatoire sont unanimes à interpeller les ministres de la Communication, de l’Intérieur et de la Justice afin qu’ils assument leurs responsabilités pour sanctionner les auteurs de ces graves bavures et rendent justice aux victimes.
Tous se déclarent inquiets face au phénomène de la violence à l’égard des femmes qui, selon eux, ne cesse de prendre de l’ampleur parce que encouragé par le silence, voire, dans certains cas, la complicité des institutions de l’Etat, celles-là mêmes censées protéger les citoyens sans distinction de sexe.
Après une longue discussion et des échanges d’avis, un communiqué final a été adopté par l’ensemble des participants et signé par la porte-parole de l’Observatoire, Mme Cherifa Kheddar, présidente également de l’association des familles de victimes du terrorisme de Blida, Djazaïrouna.
«Pour la énième fois, les femmes, parce que femmes, continuent d’être victimes de multiples violences : viols en groupe suivis de meurtres comme ceux rapportés par la presse, expéditions punitives à l’image de celles de Hassi Messaoud et de M’sila et, aujourd’hui, des femmes sont victimes de ceux-là mêmes censés les protéger et veiller à leur sécurité», constatent les animateurs de l’Observatoire. Dans le document diffusé en fin de journée, ils font état d’une situation inquiétante marquée par «le harcèlement sexuel et moral dont sont victimes des femmes journalistes de la Chaîne IV de la Radio nationale, dans l’enceinte même de l’institution et par leur propre directeur, la violence contre les femmes vivant seules perpétrée par les services de police à l’intérieur même de leur domicile, au Bois des Pins, à Hydra, Alger».
Ils rappellent à ce titre que les femmes vivant seules sont devenues les cibles d’agression sous toutes ses formes.
Face à ces «agressions» qu’ils dénoncent «avec la plus grande fermeté», ils se déclarent «consternés et révoltés» et exigent des institutions compétentes – les ministères de la Communication, de l’Intérieur et de la Justice – qu’«elles prennent leurs responsabilités respectives,  en vue de sanctionner les auteurs et à faire en sorte que l’action publique se saisisse de ces affaires dans les meilleurs délais». Les membres de l’Observatoire expriment par ailleurs leur «solidarité aux femmes journalistes de la Chaîne IV et à toutes les femmes victimes de ces actes abjects» ; ils «s’engagent à les soutenir dans leur combat juste, contre leurs agresseurs» ; ils réclament enfin que «justice soit rendue aux victimes afin qu’elles soient réhabilitées dans leur droit» et exigent des institutions de l’Etat qu’elles «assument leurs obligations telles que consacrées par la Constitution et les lois en vigueur».
A signaler que l’Observatoire est composé de plusieurs associations et militantes des droits des femmes, mais se veut un instrument autonome dépassant toute appartenance partisane ou associative. Il a été créé, il y a quelques mois, pour constater toutes les formes de violences exercées contre les femmes, mener des campagnes contre ces dernières, aider les victimes et les soutenir.

Salima Tlemçani

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