Algérie, une seconde révolution? (13)

18 mars 2011

Lu pour vous dans EL Watan


le 20.03.11

Impressionnant dispositif de sécurité à Alger

La marche de la jeunesse empêchée

La marche de la jeunesse vers la Présidence n’a pas eu lieu. Les policiers étaient présents en grand nombre pour empêcher toute tentative de rassemblement.
La Grande-Poste, point de départ prévu pour la marche du 19 mars, a été encerclée dès la matinée d’hier. A 9h déjà, les jeunes affluant par petits groupes vers les marches de la Grande-Poste étaient systématiquement dispersés. Au même moment, un groupe d’une vingtaine de jeunes tentait de se diriger vers la rue Larbi Ben M’hidi, en scandant : «Barakat el hagra, massira selmya (stop à l’injustice, marche pacifique)». Les policiers les ont neutralisés. Les curieux sont chassés, les jeunes méchamment invités à quitter les lieux, les têtes reconnues pour être les initiateurs du mouvement sont vite pourchassées.

Au bout d’une heure d’agitation, un calme précaire revient. Les jeunes dispersés d’un côté et les policiers occupant les trottoirs et bloquant toutes les issues de l’autre. «Pour nous, cette présence disproportionnée des forces en bleu est déjà une victoire, même si elle paraît plus ridicule qu’autre chose, elle met à nu tout ce qu’on combat», explique Hassan, un des initiateurs de la marche.
A 11h, la police redouble d’intimidations. Au moment où les dizaines de jeunes dispersés tentent de déjouer les stratégies de dispersion, un jeune homme brandit une pancarte qui captive tous les regards : «Régime infréquentable». Il barre la route et crie de toutes ses forces : «Y’en a marre, laissez-moi m’exprimer, il faut que ce régime dégage. Dégagez tous.» Une trentaine de policiers se ruent sur lui et le malmènent. Il leur résiste et entame sa marche vers le grand carrefour de Tafourah. Quelques manifestants rejoignent le mouvement qui se déplace de quelques mètres, donnant l’impression qu’une marche de la police s’entamait. Un jeune ironise : «Ils nous empêchent de marcher pour pouvoir le faire eux-mêmes.»
A midi, le découragement gagne la place, les policiers refusent de lâcher du lest. Yasmine, 27 ans, qui a rejoint spontanément le mouvement de ces jeunes contestataires sur facebook précise : «Il ne faut pas croire pour autant que ces jeunes ont dit leur dernier mot.»

Bouredji Fella


Lu pour vous dans EL Watan


le 19.03.11


Marche de la jeunesse : Aujourd’hui de la Grande-Poste à la Présidence

De la Grande-Poste à la Présidence, à El Mouradia, c’est l’itinéraire choisi pour la marche de la jeunesse initiée sur facebook.


Les organisateurs, un groupe de jeunes indépendants de toutes les mouvances politiques, qui avaient gardé l’anonymat jusqu’à jeudi, se sont activés tout le week-end pour réussir cette action. Vidéos, tracts, messages sur Internet, autant de moyens exploités pour tenter de marcher sur Alger, ou, à défaut, de rassembler le maximum de jeunes autour de cette idée. La moitié du pari est déjà gagnée, selon plusieurs voix. «Le fait de sortir de l’anonymat donne plus d’ampleur et de crédibilité à votre action. Marchons ensemble pour leur montrer que les jeunes peuvent être unis», peut-on lire sur le mur du groupe sur facebook qui compte à présent plus de 2500 adhérents. D’autres campent sur leurs positions et refusent de donner plus de crédibilité à ce mouvement. «Arrêtez, s’il vous plaît, de parler au nom de nous, les jeunes Algériens, pour servir de relais à la machine d’intoxication occidentale», écrit un autre internaute. Autant de polémique que d’enthousiasme.

Mais les organisateurs ne se démotivent pas, ils répondent à tous, avec des arguments mesurés. L’idée séduit, même si la peur de la manipulation n’est jamais très loin. Le groupe Algérie Pacifique, activant également sur facebook, a exprimé hier son soutien à l’action : «Sachant que les initiateurs sont sortis de l’anonymat et se sont identifiés, nous, membres du collectif citoyen ‘‘Algérie Pacifique’’, nous engageons à soutenir cette action, au même titre que toute action menée dans un souci de démocratie, justice, ou autre élément concordant avec les idées du collectif», est-il noté dans leur communiqué. Cette tentative de marche réussira-t-elle, à défaut de réellement marcher sur Alger (ce qui semble très difficile), à rapprocher ces jeunes qui peinent à se réunir ?

Fella Bouredji


Lu pour vous dans EL Watan

le 17.03.11

Le 19 mars 1962 a chassé le colonialisme externe,

le 19 mars 2011 sonne le glas du colonialisme interne

Le colonialisme, qui a mené après une expédition militaire de 46 ans, accompagnée d’actes barbares, de pillages, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, a asservi, opprimé, réprimé le peuple algérien par une humiliation totale et totalement ressentie.

Au nom de la conscience politique, de la dignité, du cœur et de la raison, le peuple algérien a combattu les armes à la main le colonialisme, système odieux et néfaste. Le FLN a sorti le peuple algérien du colonialisme avec beaucoup de sacrifices et de souffrances, mais a basculé dans la dictature. La libération du territoire national en 1962 n’a pas entraîné celle des Algériens et des Algériennes. La mort du colonialisme n’est pas la mort du colonisé qui va subir les méfaits du colonialisme interne. Le système politique, instauré après l’indépendance du pays, est revenu à la cécité politique du colonialisme. Il a engendré des dirigeants qui ont confondu nation, Etat, peuple, socialisme et capitalisme d’Etat, socialisme national et national socialisme, droit du peuple à disposer de lui-même et droit de l’Etat à disposer du peuple. Il a anesthésié la volonté populaire, étouffé toute vie politique démocratique et confisqué le pouvoir.

Comme au temps du colonialisme, le peuple algérien ne dispose pas de ses droits, et les clans du pouvoir se comportent en seigneurs et maîtres. Un peuple digne et fier, qui a conquis de haute lutte son indépendance, a été réduit au silence, bouche et paupières cousues, et à force de se taire, a perdu le droit à la parole. La colonisation a réduit le colonisé à une infériorité permanente, le système politique a fait du citoyen un sujet. Tous deux ont imposé un pouvoir illimité, rigoureusement exercé, légitimé par des élections préfabriquées. Le trucage direct du scrutin est permanent. Ils n’ont pas supprimé le suffrage universel, mais l’ont contourné, détourné. La sanction des urnes est devenue une référence redoutable, un tabou.
Pour le colonialisme comme pour le système politique, le peuple est immature, mineur, a besoin de tuteur. C’est dans le peuple que réside la souveraineté, il faut la lui restituer, c’est du peuple que vient le pouvoir et la légitimité. La souveraineté populaire est un principe formulé par la Constitution dans des termes absolus. Restituer au peuple algérien sa dignité et sa souveraineté, aux Algériens et Algériennes leurs droits de désigner leurs représentants par des élections libres, à toutes les institutions élues de l’Etat, est une obligation.
Il faut laisser au peuple le droit de décider de son destin, car il a payé très cher son autodétermination. Il doit se prononcer en toute liberté et pour toute sa liberté. Du temps du colonialisme comme depuis l’indépendance, le peuple s’est rangé du côté de la liberté qui est le besoin le plus fort et le plus constant, parce que la nation et la liberté quand elles vont mal, c’est souvent ensemble. Il faut connaître l’oppression qui a engendré la liberté et la répression qui a engendré les droits de l’homme, pour avoir le goût passionné de la liberté. Les Algériens et les Algériennes ont faim et soif de démocratie, c’est-à-dire de liberté et de justice.
Le colonialisme comme le système politique sont tombés dans l’orgueil, la prétention et la suffisance pour s’arroger des droits et des pouvoirs excessifs et s’accaparer des richesses du pays. Tous deux ont interdit au peuple algérien le droit de rechercher la vérité historique et de la répandre, de connaître son passé, tout son passé, alors qu’il tient son unité de son histoire, de toute son histoire. Le peuple algérien qui défend la culture et la langue berbères présentes dans sa vision, dans sa démarche et dans son action, a sa source et ses racines qui plongent dans les entrailles de la nation. Son identité forgée par l’histoire plusieurs fois millénaire est pétrie de dignité, de fierté et d’éthique, de larmes et de sang. L’appel de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD) pour célébrer sur tout le territoire national et l’émigration le 19 mars 1962 qui a mis fin au colonialisme externe, et le 19 mars 2011 qui sonne le glas du colonialisme interne, apportent un esprit de sagesse et un sens de l’intérêt national et s’adressent à la conscience de tous les Algériens et de toutes les Algériennes. Le moment est venu d’accompagner l’accélération de l’histoire, qui est un danger pour tous les dictateurs. En parlant comme elle a choisi de le faire, la CNCD, qui travaille au rassemblement de toutes les forces politiques et sociales qui entendent agir pour le changement de régime et non pour un changement dans le régime, sert l’Algérie, la démocratie, la liberté, la justice et les droits de l’homme. Il faut, d’une part, que les Algériens et les Algériennes aient conscience de la gravité de la crise qui se répète, se succède, s’enchaîne, s’amplifie et se prolonge, et d’autre part, qu’ils ou qu’elles se situent, c’est-à-dire prennent publiquement position. Il existe actuellement un climat d’incertitude, de doutes, d’interrogation parmi les gens qui cherchent à préserver la stabilité d’une société profondément divisée par ses antagonismes politiques, sociaux et culturels.

Le pays bouge, craque de partout, et la rue est le dernier recours lorsque toutes les possibilités de se faire entendre sont épuisées. Il faut avoir le courage et la volonté de faire face à un pouvoir dictatorial, qui a tenté d’infantiliser les Algériens et les Algériennes. L’opinion publique se demande pour quelle raison quelques membres de la CNCD, qui ont approuvé la marche à Alger tous les samedis et le changement de régime, ont rejoint une semaine après ceux qui veulent un changement dans le régime et par le régime. Ils se sont alignés sur la politique du pouvoir, deviennent ses alliés, vont à l’encontre des intérêts du peuple algérien. Ils sont des acteurs marginaux de la vie politique nationale, mènent un combat d’arrière-garde qui satisfait le pouvoir qui joue avec les ambitions des uns et des autres. En politique, il est nécessaire, avant de se contredire, d’attendre que le temps fasse oublier les premières déclarations. Les hommes et les femmes de circonstances ont cédé le pas aux femmes et aux hommes de conviction. La rupture se situe avec le système politique archaïque et despotique. Que tous ceux et celles qui se reconnaissent dans les valeurs démocratiques et l’Etat de droit rejoignent la CNCD pour dégager ensemble un certain nombre d’objectifs et les moyens qu’il faut mettre en œœuvre pour les obtenir.
Le président exerce une emprise totale sur la chaîne unique de télévision qui ne recule devant aucune falsification, aucune affabulation pour jeter le discrédit sur la CNCD. Cette dernière dénonce l’ampleur inimaginable du quadrillage policier lors de chacune de ses marches. Par sa répression, le pouvoir montre son vrai visage, celui de l’Etat policier.
L’Algérie des clans du pouvoir doit céder le pas à l’Algérie des citoyens et des citoyennes
Faire une autopsie rigoureuse du pouvoir, un diagnostic total clair, lucide, c’est découvrir une Algérie malade de corruption, d’immobilisme politique, d’inefficacité économique et d’inégalités sociales. Abdelaziz Bouteflika a été porté à un destin national par l’armée. Les décideurs de l’armée, faiseurs de rois, l’ont en effet choisi en avril 1999 comme président de la République. Leurs signaux, captés et décodés par la presse, informent chaque président qu’ils détiennent la réalité du pouvoir, qu’ils auront toujours le dernier mot et qu’ils ne lui reste plus, selon la formule consacrée, qu’à se soumettre ou se démettre. La marche vers et sur les sommets et leur prestige ne durent pas, et la descente peut être douce ou brutale. Le président concentre entre ses mains la quasi totalité du pouvoir qui s’est transformé au cours des années en monarchie républicaine. La dernière révision constitutionnelle a été aux dimensions exactes d’un seul homme, taillée en costume prêt-à-porter pour le président qui est le seul pouvoir exécutif, le gouvernement n’étant que le pouvoir exécutant. Le sentiment d’être indispensable et irremplaçable est inhérent à toute fonction d’autorité. Tout pouvoir qui n’émane pas de la souveraineté populaire librement exprimée, par des élections libres, propres et honnêtes, est illégitime et engendre la dictature. Un pouvoir sans légitimité gouverne par les moyens de la dictature. Combien de temps encore le peuple va-t-il se résoudre à la confiscation réelle du suffrage universel ?
Les élections truquées relèvent du hold-up électoral qui est du gangstérisme politique. Les pratiques qui faussent le soutien et le libre choix des électeurs sont permanentes. Quel Etat fondé sur la dictature ferait des élections libres ?
La tendance du président de la République à personnaliser et centraliser à l’excès le pouvoir, à régner et gouverner à la fois, à accumuler titres et fonctions, à tout régenter, tout diriger, tout contrôler, à faire du gouvernement à sa dévotion et à son image l’annexe de la présidence, du Parlement, deux chambres d’enregistrement, à développer des relations de type monarchique avec les représentants des institutions de l’Etat, à nommer à tous les postes de responsabilité ses proches, a réveillé les vieux démons du régionalisme. Il n’a pas pris le temps d’apprendre ce pays par ses racines, par toute son histoire, de Jugurtha avec son message, à la Kahina, à l’Emir Abdelkader, à Abane Ramdane et Larbi Ben M’hidi. Il ne peut pas réduire une catégorie d’Algériens qui veulent vivre et parler, parce qu’ils sont de ce pays par toutes leurs racines, et jamais leurs ancêtres n’ont eu un ailleurs. Comment peut-on vivre librement dans un pays sans liberté ? Le président assure sa durée en verrouillant l’accès au pouvoir, en maintenant le statu quo et en renforçant l’ordre établi. L’Etat policier n’obtient pas le respect des Algériens, mais seulement leur obéissance et leur soumission par la peur. La société est bloquée, verrouillée par un pouvoir dictatorial qui a conduit au dépérissement des libertés. Ce pouvoir illégitime permet de poser quelques questions : Où es-tu démocratie ? Où es-tu liberté ? Où es-tu Etat de droit ? Où es-tu Constitution ?
A la tête de l’Etat se maintient un clan centralisateur, dominateur, totalitaire, excessif, sectaire, intolérant, qui se comporte en propriétaire et non en dépositaire du pouvoir. Les clans du pouvoir usent et abusent des richesses du pays. Ils sont comme les loups, ils se déchirent mais chassent en meute. Ils disent comme Létizia Bonaparte il y a plus de deux siècles : «Pourvu que ça dure», sachant pertinemment que cela ne peut pas durer.
Les privilèges, les inégalités et la corruption sapent le pouvoir qui a imposé au peuple algérien un mariage sans divorce, ni séparation de corps, qui l’oblige à se soumettre.
La dictature a banni la démocratie de la réalité, n’en conservant que la coquille vide dont elle se sert pour maquiller le visage hideux du totalitarisme. On ne peut à la fois appliquer une politique totalitaire et se faire créditer du label de démocratie. Le pouvoir a introduit un double langage en développant un vocabulaire démocratique, directement opposé à sa pratique dictatoriale. Il est au-dessus des lois, a tous les droits, fait la loi.
Le même personnel politique au sommet de l’Etat, dont les carrières politiques sont d’une exceptionnelle longévité, a applaudi Chadli
Bendjedid, servi Liamine Zéroual, encensé
Abdelaziz Bouteflika en attendant le suivant. Il faut passer le pouvoir, tout le pouvoir, aux deux générations de l’indépendance nationale. Le pouvoir parle des jeunes qui ont un haut niveau de conscience, avec condescendance et le souci de récupération. Ils ne peuvent avoir des droits que s’ils sont élevés à la dignité politique de citoyens.
Le président doit comprendre que l’époque de la dictature est révolue, qu’il doit quitter la scène politique qui est la principale exigence de la nation. Il faut mettre fin à 12 ans de son pouvoir quasi absolu. Est-il prêt à céder sa place, à passer la main en douceur ? Quand l’histoire d’un homme est finie, terminée, il ne faut pas forcer le destin en ajoutant un dernier chapitre. Le peuple aspire à un changement radical, à un changement de régime et non à un changement dans le régime. Le crépuscule qui s’étend sur le régime, entrevoit l’aube de la démocratie. Le nœud de cette crise est le départ du régime. Le président est le conducteur de train et le DRS le serre-frein, et ils déraillent ensemble, entraînant dans leur chute les wagons, c’est-à-dire toutes les institutions de l’Etat, le Parlement en priorité.

Ali Yahia Abdennour

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