Indignons-nous!

16 février 2011

Boualem Sansal in Le Point – Publié le 20/01/2011

Que se passe-t-il au sud de la Méditerranée ?

Colère. L’écrivain algérien dénonce un silence coupable.

Alger, janvier 2011. On aime trop comprendre quand il ne s’agit en vérité que de conclure et d’agir. Quand le mal est fait, c’est que quelque part on a trop cherché à comprendre, on a pris son temps, et les choses, les évidences nous sont passées sous le nez. On dit que c’est compliqué et qu’il faut encore réfléchir. Mais il est trop tard, on pourrait à bon droit nous accuser de légèreté, de cynisme, de non-assistance à personne en danger, voire de crime, et, pire que tout, de complicité de crime. A trop parler, on perd de vue l’essentiel, on s’égare, on pinaille, on polémique pour montrer sa science ou cacher son ignorance. On aura encore une fois oublié qu’il n’y a de compréhension et d’apaisement que dans l’action.

Reprenons les faits. Que se passe-t-il au sud de la Méditerranée ? se demande-t-on depuis deux mois. Mais rien, bon sang, rien de nouveau, rien qui ne soit normal, qui ne soit su du monde entier depuis le commencement – c’était attendu comme un rendez-vous garanti. Tous ces morts dans la paisible Tunisie et la remuante Algérie, nous savions qu’ils allaient mourir, comme on le sait pour les condamnés à mort, on connaît le rituel, l’heure, l’endroit, et le jour J annoncé la veille de l’exécution. Si l’on s’était rappelé cela, nous n’aurions pas perdu tout ce temps, nous aurions sauvé ces pauvres gens, nous aurions agi, levé des commissions d’enquête, allumé les projecteurs, envoyé des ultimatums, nous aurions été à la hauteur, nous serions des Justes. Et les dénommés Bouteflika et Ben Ali, alias Boutef le rusé et Ali le dégourdi, seraient en prison depuis belle lurette, cinquante ans pour le premier et vingt-trois pour le second, condamnés pour association de malfaiteurs en vue de commettre des hold-up et des crimes. Ils ont accumulé des milliers de crimes et détourné des milliards de dollars. Qui a eu l’idée de parler d’émeutes, quand il s’agit de marches et de paroles, et d’expliquer cela par le chômage et la misère ? Connaît-on d’autres motifs de se mettre en émeute ?

La peste et le choléra. Qui a parlé de liberté confisquée, de corruption organisée, d’abrutissement de la société, de brutalités policières ? Imagine-t-on des dictatures promouvoir spontanément la démocratie ? Qui a parlé des islamistes et prétendu que placer des gangsters à la tête de l’Etat était une bonne parade à leur hégémonie ? On ne sait s’il faut encore rire ou pleurer de cette vieille fable de la peste et du choléra. Pour être complet, on a évoqué le désordre mondial, les dégâts de la realpolitik, les Chinois qui pillent l’Afrique, les frustrations, les humiliations, les séquelles du colonialisme, la main de l’étranger, les complicités occidentales et celle de la France en premier, dont le pouvoir en Afrique serait immense, nous dit-on, bien plus grand qu’il ne le fut durant la colonisation, grâce aux régimes actuels, des sous-traitants autrement plus féroces que l’administration coloniale de papa.

Certains sont allés au plus bas de l’explication, ils ont parlé de choses atrocement prosaïques : le prix du pain et du sucre, les petites pénuries d’eau, d’huile, de lait, de médicaments, le manque de logements, la prolifération des bidonvilles, le tapage des mosquées, et que sais-je, la saleté des rues, l’ennui des jours, la grisaille des murs, la pâleur des salaires. La liste est longue. Ne dirait-on pas que ces gens parlent plutôt de leurs banlieues parisienne et grenobloise où grouillent caïds, imams, faux repentis, harragas, dealers en tout genre, dans un décor de ruine générale ? S’il faut parler, parlons vrai et appelons les choses par leur nom : au sud de la Méditerranée, il se passe des crimes, et depuis longtemps. Des crimes humains, culturels, écologiques.

Agissez maintenant, pétitionnez, déposez plainte, je vous ai tout dit, j’ajoute que d’autres crimes sont en route. Dites-le à M. Sarkozy : qu’il lâche le Boutef comme il a dû lâcher le Ben Ali, sinon la colère de Tunis et d’Alger le poursuivra jusqu’à la fin des temps.

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